Le Venezuela nous montre qu’un autre monde est possible

Dans cette interview exclusive, Pato Porzio, un brigadiste international argentin qui a vécu au Venezuela le mois dernier, raconte son expérience et celle d’un processus révolutionnaire aussi harcelé que créatif dans la quête de solutions.

Pato Porzio

On peut trouver beaucoup de choses sur le Venezuela, principalement dans les réseaux sociaux et les médias. Toutefois, découvrir les terres bolivariennes au travers de quelqu’un qui les a parcourues, y a vécu et travaillé a une valeur supplémentaire.

Pato Porzio a 24 ans, il est originaire de Mar del Plata, membre de la Juventud Rebelde (Jeunesse Rebelle) et travaille dans l’économie populaire. Il faisait partie de la Deuxième Brigade Internationaliste « Che Guevara » en solidarité avec la Révolution bolivarienne pendant le mois d’août. En parlant avec lui de son expérience récente, nous nous efforçons de faire connaître la réalité actuelle de ce peuple frère.

Que sont les brigades et comment les avez-vous intégrées au Venezuela ?

Les brigades sont des initiatives visant à faire naître la solidarité entre les peuples au travers des expériences qui se déroulent dans différents territoires ou divers contextes, qui ont des points communs et sont renforcées lorsqu’elles se rencontrent et s’articulent.

Notre objectif était de comprendre en profondeur le processus de la Révolution bolivarienne, de savoir ce qui se passe réellement au Venezuela. Nous avons à l’esprit l’héritage du Che Guevara, l’internationalisme comme pratique de l’engagement et de la solidarité mondiale, de la libération et de la souveraineté de nos peuples.

Nous étions environ 50 brigadistes, qui se sont divisés en trois groupes. L’un d’entre eux, auquel j’ai participé, a pris la route de l’Ouest. Nous avons visité les États de Mérida et de Lara, ainsi que la ville de Caracas. Notre groupe était composé de représentants d’organisations d’Argentine, du Brésil, d’Uruguay, du Paraguay, du Panama, de la Jamaïque, du Chili, du Pérou, du Pays basque, du Mexique, de Bolivie, de Colombie et d’Équateur, ainsi que de Vénézuéliens.

Qu’avez-vous vécu comme expériences ?

Nous avons visité des expériences d’organisations populaires, certaines liées à l’État et d’autres non. Nous avons également rencontré des fonctionnaires et des gouverneurs. Nous avons découvert et travaillé dans des endroits où l’on produisait du maïs, des briques, du cacao, etc.

Il s’agissait des Communes, qui sont dans des dynamiques très intéressantes de participation populaire, le dernier grand héritage d’Hugo Chávez. C’est l’organisation du peuple sur son territoire, un outil de Pouvoir Populaire où il exerce une réelle participation avec une certaine souveraineté dans le but de la conformation de l’Etat Communal.

Le pouvoir populaire, au Venezuela, est un pouvoir de plus au sein de l’État. C’est très différent de notre démocratie représentative, dans la mesure où la démocratie participative s’exerce quotidiennement. Les Communes sont au cœur de la lutte contre le blocus et la guerre économique que l’empire Yankee impose au peuple vénézuélien.

Avez-vous rencontré des expériences d’organisations rurales ?

Oui, la commune « Jesús Romero Anselmi » de Mérida, en activité depuis 2011. Elle est composée de 169 familles de la communauté afro-vénézuélienne, avec 442 hectares et 15 conseils communaux. Ils produisent toutes sortes d’aliments, comme le manioc et les bananes, qu’ils consomment beaucoup.

Nous avons également visité la Commune « Che Guevara » où l’on produit du cacao et du café, deux produits de base qui sont également touchés par les attaques de l’empire américain. Cette Commune est la seule à produire ces aliments et approvisionne une grande partie de l’État de Merida et d’autres États.

Les Communes et leur production sont deux aspects de la même stratégie du peuple vénézuélien pour progresser dans son autonomie et son autosuffisance, en vue d’atteindre la souveraineté et la sécurité alimentaire.

Comment vois-tu les jeunes dans les villes ?

L’organisation des jeunes est soutenue et reconnue par la révolution. Nous avons vu deux expériences que j’ai trouvées très intéressantes liées aux droits et à l’organisation des jeunes.

L’une d’elles est le mouvement « Somos Otro Beta », qui cherche à inclure les jeunes historiquement exclus, en reconnaissant leurs luttes et leurs méthodes d’action. Beta est le terme utilisé pour désigner les jeunes stigmatisés et oubliés. Avec « Otro Beta » ils cherchent à rendre visible d’autres aspects de ce que sont et font ces jeunes. C’est comme en Argentine avec les gosses des quartiers qui sont stigmatisés comme « délinquants », alors que certains ne font que manifester. Des organisations comme la nôtre (Juventud Rebelde) cherchent à montrer qu’il s’agit de jeunes sans perspectives, qui ont beaucoup de besoins, mais avec un énorme potentiel pour faire et dire. Ici nous avons fait du bénévolat dans un espace dédié à la formation professionnelle et culturelle des jeunes des quartiers.

L’autre expérience que nous avons vue est étroitement liée à l’État et à la révolution. Ce sont les « Base de la Mission ». Espaces sportifs, grands bâtiments dans lesuels s’organisent de nombreuses activités dans différentes disciplines sportives, en groupe ou individuelles. Totalement ouverts et gratuits, dans de très bonnes conditions. Elles sont situées à proximité de populations vulnérables ou marginalisées qui trouvent dans ces espaces l’inclusion et l’accès à une autre qualité de vie.

Elles étaient également stratégiques dans les moments de grande violence, comme les attaques des guarimbas, parce que les enfants de ces secteurs étaient recherchés par les organisations opposées à la révolution pour participer à des actes violents.

Quelle est la situation quotidienne suite au blocus et au manque supposé de marchandises ?

Depuis longtemps, les médias mènent au niveau mondial une guerre de communication contre la révolution pour nous faire croire qu’on vit mal au Venezuela, que le peuple vénézuélien souffre de la faim et de la misère, et que le gouvernement de Nicolás Maduro est responsable. Mais ce n’est pas la vérité, c’est ce qu’ils veulent nous faire croire.

La vérité est que l’empire nord-américain a provoqué cette crise par le biais d’un blocus économique aux objectifs divers, comme le renversement de Maduro pour s’approprier les réserves pétrolières du Venezuela, qui sont les plus importantes au monde. Nous ne pouvons pas oublier cela : la paix ou la faim n’intéressent en rien les Etats-Unis, ce qu’ils veulent c’est le pétrole.

Il est très difficile pour n’importe quel pays de lutter contre cela, mais diverses stratégies sont élaborées pour inverser la situation. Il y a une grande conscience de l’origine de la guerre économique qui affecte directement la population. C’est pourquoi la solution est entre les mains du peuple, de la solidarité, de l’organisation et de l’internationalisme dans notre cas.

Nous devons rompre avec les mensonges. Ce qui se passe ici se passe aussi là-bas, le problème c’est qu’on regarde différemment. Le peuple ici est organisé et produit beaucoup de nourriture et d’éléments de base pour la vie. Le gouvernement, au-delà de la production et de l’organisation communale, développe également des politiques afin d’améliorer la situation économique. Je suis allé dans plusieurs supermarchés, ils étaient pleins.

La spéculation sur les taux de change affecte beaucoup de choses, comme cela nous arrive également en Argentine. La valeur du dollar est un outil de domination de l’empire. C’est pourquoi les Communes cherchent à produire le plus possible afin de réaliser des échanges équitables de produits. Même en matière de médicaments les Communes cherchent des alternatives. L’impact du blocus est très dur puisqu’il ne s’en importe presque plus mais pour ceux qui arrivent par les brigadistes ou par le Gouvernement, les Communes organisent des pharmacies populaires pour assurer un approvisionnement responsable.

Qu’as-tu retiré de ton voyage au Venezuela ?

Connaître un pays où se déroule un processus de révolution et d’autonomisation populaire était un rêve, un rêve que l’organisation et le militantisme m’ont permis de réaliser. Au cours de ces journées au Venezuela, j’ai pu voir de mes propres yeux et sentir que c’est un pays libre et souverain, avec un niveau de conscience énorme et une très grande conviction politique et sociale, où l’amour et la joie sont les outils les plus essentiels pour continuer la bataille que nous menons aujourd’hui dans différents endroits pour un monde meilleur, où le capitalisme et la droite ne doivent pas avoir de place pour gouverner et ne peuvent continuer à provoquer des guerres, la faim et des morts sous le prétexte de la paix et d’une étrange liberté. Le Venezuela nous montre qu’un autre monde est possible, qu’en dépit du blocus économique dont il souffre, les gens ne sont pas tristes, on y voit un peuple heureux et debout, qui résiste. Que c’est un pays où les droits ne sont pas un privilège pour quelques-uns mais accessibles à toute la société.

Pour chaque membre de la brigade cela nous a fait beaucoup réfléchir à ce qui se passe dans nos pays et à l’importance de continuer à lutter pour une société meilleure pour tous, où les gens ont des droits et un rôle moteur. Les tactiques d’aujourd’hui peuvent être différentes, mais d’un point de vue stratégique, nous devons continuer à prôner la révolution.

La droite et le néolibéralisme espèrent que nous capitulions pour s’approprier tout ce qui a été réalisé ainsi que les ressources naturelles, nous ne pouvons le permettre. L’avenir est entre nos mains et pour nous, c’est un devoir historique de le récupérer pour le bien vivre.

Eugenia Tommasi

Notas periodismo popular / Traduction : Venesol