Il ne s’agit plus de disputes idéologiques mais bien de quelque chose de plus élémentaire, d’essentiel : un média ne doit pas mentir. Mentir est au média ce qu’est l’escroquerie pour une banque. Si celle-ci ne doit pas voler l’argent de ses clients, un média ne doit pas cacher l’information dont son public a besoin, qui fait confiance en son honnêteté et à la loyauté de sa source.

Malheureusement, ce que nous avons vu dans la presse hégémonique concernant l’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale de la République bolivarienne du Venezuela constitue une escroquerie monumentale à la bonne foi des lecteurs. Le journal espagnol El País, par exemple, affirme que « L’autoproclamation de Luis Parra et l’élection de Guaidó lors d’une session alternative compliquent le paysage parlementaire ». Des titres similaires inondent d’autres médias. Le problème est qu’il n’y a pas eu d’autoproclamation de Luis Parra. Compliquer les choses, c’est ce que font les amis des différents membres de la clique des acteurs politiques, qui ne sont pas journalistes, qui prospèrent à notre époque et protègent des personnes autoproclamées et corrompues comme Juan Guaidó et Jeannine Añez. Parra, du parti de l’opposition Primero Justicia, ne s’est pas auto-proclamé mais a obtenu 81 voix des 140 députés (sur 167) présents dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. Luis Parra a donc été élu président de cet organe législatif. Celui qui s’est à nouveau « proclamé » c’est Guaidó, et dans les bureaux du journal El Nacional de Caracas ! Cela montre on ne peut plus clairement la fonction réelle de certains médias qui prétendent faire du « journalisme indépendant ».
Malgré que le quorum était atteint et malgré la présence de députés de toutes les forces politiques, le Président de l’Assemblée, Juan Guaidó, a refusé d’entrer dans le Palais législatif et d’ouvrir la session, comme il était tenu de le faire. Il est resté à l’extérieur du siège du parlement en essayant de forcer l’entrée de quatre députés qui, pour différentes raisons, avaient été disqualifiés par la Cour suprême de justice. Sur les enregistrements, on peut l’entendre dire que « s’ils n’entrent pas, je n’entre pas non plus ». Eux sont finalement entrés, mais lui est resté dehors. Il faut noter qu’aucun d’entre eux n’a participé aux sessions de la législature en cours et que Guaidó, en tant que président de l’assemblée, n’a à aucun moment exigé leur présence.
En l’absence de Guaidó, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale prévoit que le député le plus âgé soit installé pour conduire les débats et ouvrir la session. Ainsi, une nouvelle direction de cinq membres, tous appartenant à des partis d’opposition, a été élue avec le vote de 81 députés. Il faut être très malhonnête, comme les médias hégémoniques peuvent l’être, pour parler de « coup d’État parlementaire de Maduro » alors que la nouvelle direction est entièrement composée d’hommes politiques de l’opposition. Autrement dit, Maduro serait à ce point incompétent qu’il aurait organisé un coup d’État parlementaire, supposé favoriser ses plans politiques, à la suite duquel la nouvelle direction de l’Assemblée Nationale se trouve entre les mains de cinq farouches adversaires à son gouvernement ! Il y a quelque chose qui ne colle pas dans cette explication.
Et pour cause puisque tout n’est qu’un compte rendu absolument faux de la réalité. Ce qu’une presse honnête aurait dû dire, c’est que l’élection du nouveau président de l’Assemblée Nationale s’est déroulée conformément aux exigences légales, au jour et à l’endroit établis par la Constitution (et non sur une place publique ou dans les bureaux d’un journal, comme l’a fait Guaidó), qu’il y avait le quorum requis par la loi et que le vote a eu lieu en présence des membres de la direction sortants, à l’exception de Guaidó, l’opposition ayant obtenu une total de votes qui dépassait largement la moitié plus un des 140 parlementaires présents dans l’hémicycle.

Comment expliquer le comportement de l’ « autoproclamé » ?
Premièrement, à cause de son discrédit irréparable dans les rangs de l’opposition. Souvenez-vous de la dénonciation faite contre lui par l’ambassadeur « imaginaire » qu’il a lui-même nommé en Colombie, Humberto Calderón Berti, qui l’a accusé d’avoir volé, avec certains de ses amis, une partie de l‘argent que la Maison Blanche avait envoyé pour financer l’opération « Aide humanitaire + Concert à Cúcuta » du 23 février et de l’avoir « dépensé pour des prostituées et de l’alcool » ou d’autres substances illicites…
Deuxièmement, parce que l’accord au sein de l’opposition était qu’il y aurait une alternance des partis qui présidaient l’Assemblée Nationale et que lorsque le renouvellement a eu lieu ce 5 janvier, le parti de Guaidó, Voluntad Popular, devait céder la place à Primero Justicia, et en vraie fripouille qu’il est, il a ignoré cette entente et a tenté de s’en tirer en se victimisant dans une tentative pathétique d’entrer illégalement dans les locaux de l’Assemblée Nationale alors que rien ni personne ne l’empêchait de le faire normalement, comme tous les députés de l’opposition. Mais il devait fournir à l’empire, à CNN et à la presse voyou du continent et du monde cette image dont toute la droite avait besoin pour confirmer le caractère dictatorial du « régime » de Maduro et associer les hésitants de la droite récalcitrante d’Amérique latine. Une farce très bien pensée et bien jouée, il est dommage pour lui que les témoins oculaires et les vidéos qui circulent largement sur le net démontrent clairement la supercherie.
Troisièmement, parce que Trump lui a ordonné de ne pas descendre et de continuer ses pitreries jusqu’à ce que Maduro soit renversé et, obéissant et rampant, ayant quelques comptes en suspens à la Maison Blanche pour ces petites dépenses du 23 février, Guaidó a obéi à l’ordre de son maître.
Un torrent de fumier indélébile s’abat sur les médias qui, au lieu de relater ces faits, concrets et prouvés (y compris avec des vidéos prises par des parlementaires et des personnes qui se trouvaient à proximité du siège de l’Assemblée Nationale et qui ont été viralisées par Internet), ont cédé au discours dont Washington a besoin pour préparer une éventuelle aventure militaire au Venezuela ou l’intensification de ses attaques économiques, financières, informatiques et diplomatiques, etc. contre ce pays.
Ils ont menti, une fois de plus, comme ils le font depuis des décennies pour promouvoir leurs intérêts et ceux de l’empire, dont ils sont les organes officieux. Ils ont trompé leurs lecteurs et leur public pour la énième fois. Mais ils s’en soucient peu. Ils ont atteint leur objectif : continuer à semer la confusion dans l’opinion publique et parmi les fonctionnaires des différents ministères des affaires étrangères latino-américains (et du monde) qui ont acheté les fake news des médias hégémoniques et, manquant de professionnalisme, les ont reconnues comme exactes, publiant des communiqués honteux dans lesquels l’ignorance mêlée à l’indolence a entraîné des bévues diplomatiques qu’il faudra beaucoup de temps et de travail pour corriger.
Ajoutez à cela la conviction profondément enracinée dans l’establishment diplomatique latino-américain que si un gouvernement s’aligne inconditionnellement sur Washington — par exemple en fermant les yeux sur l’attaque terroriste contre Qasem Suleimani en Irak, ou en se joignant au chœur qui chante les louanges de Guaidó en tant que messie de la démocratie vénézuélienne — sa loyauté sera généreusement récompensée par la Maison-Blanche. L’Argentine a déjà essayé cette politique de « relations charnelles » proposée par Carlos S. Menem au cours de ses dix longues années de mandat (1989-1999), et elle a abouti à une débâcle phénoménale face à l’indifférence glaciale du gouvernement américain. Penser qu’il pourrait en être autrement aujourd’hui est un signe de naïveté politique.
Une politique étrangère indépendante, sérieuse, sans grandiloquence et en accord avec la riche multipolarité du monde actuel est la meilleure lettre d’introduction pour les difficiles négociations que les pays de la région doivent engager en permanence avec la Maison Blanche. L’alignement inconditionnel avec la Maison Blanche non seulement n’aide pas mais nuit. J’espère que les leçons de l’histoire seront apprises et mises en pratique.
Atilio A. Boron