Ce que cache réellement la division de la droite vénézuélienne

L’opposition se trouve en pleine bagarre au Venezuela. Il ne s’agit pas d’une lutte seulement pour l’Assemblée Nationale mais pour quelque chose de plus profond : suivre le chemin tracé par les États-Unis ou créer une alternative pour le pays. Dans le viseur, il y a les prochaines élections législatives qui auront lieu cette année à une date encore inconnue.

La politique vénézuélienne est en plein mouvement avec des bagarres et des attaques en préparation. Ce qui s’est passé à l’Assemblée Nationale (AN) dont Juan Guaidó a perdu la Présidence est seulement la partie visible de l’iceberg qui est en jeu.

Le scénario qui se déroule a commencé à se construire à partir de la moitié de l’année 2019 et son point central a été l’incapacité à renverser le président Nicolás Maduro. Les calculs des stratèges et de ceux qui financent le Gouvernement parallèle qui avait Guaidó à sa tête n’ont pas donné les résultats escomptés.

Cette défaite de la mathématique putschiste a eu pour résultat non seulement le maintien du Gouvernement de Maduro mais aussi la bagarre dans les rangs de l’opposition qui est allé jusqu’à la rupture. Cette division exprime, pour sa part, quelque chose d’important : les voies par lesquelles le conflit au Venezuela pourrait être résolu : ou depuis l’étranger et par la violence ou entre Vénézuéliens par des élections.

Les oppositions

Les bagarres dans l’opposition ont commencé à être rendues publiques fin 2019 quand déjà l’affaiblissement et la perte de crédibilité de la feuille de route qui devait être mise en œuvre par les Etats-Unis grâce à Guaidó ne pouvait plus être cachée. Cette division est apparue grâce à un élément qui définit souvent la politique : l’argent.

« Il y a une bagarre interne entre eux suite à une lutte pour le contrôle des revenus, » a expliqué à Spoutnik María Alejandra Díaz, députée à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC).

Cette bagarre a eu lieu autour du financement externe « qui est estimé, selon l’USAID, à 630 000 000 de dollars pour ces 4 dernières années, » dit Díaz.

Cet accaparement des ressources s’est ajouté à d’autres éléments comme l’absence de démocratie interne dans les partis, les divergences dans la stratégie et les ambitions personnelles.

« Il y a une rébellion des membres des partis d’opposition qui ont été relégués dans les régions et qui réclament de l’espace depuis 1 an, » déclare la députée. Cette bagarre, traversée par des dénonciations mutuelles de corruption et de pots-de-vin s’est traduite par la présentation, le 5 janvier, d’une liste pour la présidence de l’Assemblée Nationale dirigée par Luis Parra par un groupe d’opposants. La division s’est ainsi exprimée dans la bagarre pour le principal organe dans lequel l’opposition se déployait et dont Guaidó a été exclu.

Le bloc de Parra «ne demande pas d’invasion et dit vouloir faire rentrer l’Assemblée Nationale dans la légalité, » explique Díaz. Sa position s’éloigne de celle de Guaidó que la Constituante qualifie de « principale carte des Etats-Unis. »

Ce que Parra envisage renforce une position politique qui avait déjà été exprimée à la Table de Dialogue, un espace de discussion entre le chavisme et les opposants créé fin 2019. 

L’opposition qui s’est assise à cette Table « s’est ouvertement exprimée contre le blocus et contre tout type d’invasion, c’est un secteur opposé au Gouvernement mais qui a un certain degré de défense du pays, » soutient Díaz.

L’opposition qui, au début de 2019, était majoritairement unie publiquement sur la feuille de route des Etats-Unis, possède maintenant deux blocs différents : celui de Guaidó et celui de Parra, qui préside l’Assemblée Nationale et la Table Nationale de Dialogue.

« Je pense que si on ajoute le secteur de cette opposition qui s’assoit à la Table au secteur dissident de Parra, il pourrait y avoir à l’AN une opposition qui affronte les extrémistes qui ont fait beaucoup de mal au pays. »

Les prochaines élections

Le débat se situe dans le cadre des élections législatives qui auront lieu cette année. La division dans l’opposition a déjà été annoncée : y participer ou les saboter.

La question des élections contient le problème du Conseil National Electoral (CNE) et de son renouvellement. 

« A l’AN, on n’est pas arrivé à un accord parce que Guaidó s’y refuse. Le secteur de Parra est prêt à reprendre ces négociations, c’est un scénario intéressant parce qu’entre l’opposition qui s’assoit à la Table et celle de Parra, on pourrait arriver à une négociation avec le Gouvernement pour choisir les nouveaux membres ou toute la direction, on ne sait pas encore, et ce serait une décision politique, » explique Díaz.

L’objectif est que le renouvellement vienne de l’AN reconnue par les autres pouvoirs de l’Etat, c’est à dire celle que dirige Parra, dans le cadre d’un accord pour que le plus grand nombre possible d’acteurs politiques valident le CNE et les prochaines élections. 

Dans le scénario d’instabilité, Díaz pense que cet accord pourrait ne pas être obtenu obtenu à travers l’AN et vienne de la Table Nationale de Dialogue. Alors, « il reste la possibilité que, pour garantir les accords de la Table, cette désignation soit faite par l’ANC.»

C’est ce sur quoi parie le chavisme : un accord politique avec de nombreux acteurs de l’opposition vénézuélienne opposés au blocus et à l’intervention étrangère pour qu’il ait la légitimité nécessaire et ensuite qu’on fasse les élections législatives.

Guaidó a déjà annoncé qu’il ne reconnaîtrait ni un changement de CNE, ni la convocation, ni les élections qui auront lieu. « Ils vont les saboter parce que qu’on reprenne l’institutionnalité du pays ne les intéresse pas et comme ils ne contrôlent plus la présidence de l’AN, sa légitimité dans le pays est encore plus diminuée, » soutient Díaz.

La position exprimée par Guaidó exprime la stratégie des Etats-Unis. Le Gouvernement nord-américain et ses alliés comme la Colombie ou l’Union Européenne ont annoncé qu’ils ne reconnaissent que l’AN dirigée par Guaidó et qu’il faut mettre en place un Gouvernement de transition qui organise les élections.

« Dans cette lutte de pouvoir, les Etats-Unis ne vont pas céder, ils vont resserrer encore plus les vis à l’intérieur pour qu’un secteur se rende, » explique la députée Constituante. Cela va de l’aggravation du blocus économique, de la tentative d’opérations armées secrètes aux pressions par des attaques personnelles contre les dirigeants du chavisme ainsi que contre ceux qui ont rejoint l’opposition qui s’est éloignée de Guaidó et de la stratégie des Etats-Unis.

Les pièces manquantes

La carte de recomposition de l’opposition n’est pas encore achevée. L’étape qui se déroule actuellement est la bagarre interne des partis pour savoir quel secteur en aura la direction.

Ainsi, par exemple, le parti Primero Justicia, est en lutte. D’un côté, le secteur de Parra et de l’autre, celui de dirigeants comme Julio Borges. Cette lutte devrait être réglée par le Tribunal Suprême de Justice et, au cas où le secteur de Parra gagnerait, alors, le parti Primero Justicia et un secteur de ses dirigeants participeraient certainement aux prochaines élections législatives.

María Alejandra Díaz pense que ce cadre d’instabilité interne touche d’autres forces. « C’est pourquoi Guaidó quitte Volonté Populaire, parce qu’il ne contrôle pas ce parti, » explique-t-elle à propos de la décision de Guaidó de quitter le parti grâce auquel il était arrivé à la présidence de l’AN, annoncée début janvier. 

Cet ensemble de variables politiques, pour Díaz, indique qu’il existe des possibilités de gagner la majorité à l’AN mais elle souligne que la dimension économique sera déterminante : « Les gens votent avec leur cœur, leur foie ou leur estomac. Il faut qu’il y ait une amélioration sensible de la situation grâce à des mesures qui doivent être prises pour protéger le plus faible de cette équation : le peuple. »

Marco Teruggi

Source: resumenlatinoamericano

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos