En analysant les types de violence qu’elles subissent, les caractéristiques des victimes et les lieux où les incidents se sont produits, une étude sur les causes de décès de Vénézuéliennes en Colombie révèle que plus de la moitié des décès sont causés par une forme extrême de violence sexiste, le féminicide.

Avec le soutien du projet de cartographie de l’Institut d’Études Internationales et Européennes Francisco de Vitoria, les données sur les causes de décès de Vénézuéliennes sur le territoire colombien de janvier 2018 à décembre 2019 ont été analysées.
Les résultats sont inquiétants : parmi les cas analysés, dans 57,3 % des décès de Vénézuéliennes, on peut conclure de manière irréfutable que la femme a été victime d’un féminicide, pour avoir subi des violences de genre ou parce qu’elle a été assassinée par un partenaire ou un ex-partenaire.
34,4% ont été victimes d’un meurtre non qualifié, parce que le motif n’est pas clair ou n’a pas encore été élucidé. 6,6 % ont été classés comme crimes de haine et d’intolérance, parce que le décès présentait des indices évidents de xénophobie envers la victime. 16,4 % des Vénézuéliennes en Colombie seraient mortes suite à des accidents, et 9,8 % seraient mortes de maladie ou de problèmes de santé.
Le féminicide se caractérise par le meurtre d’une femme qui s’exerce contre sa liberté, son intégrité et sa dignité, et qui s’exerce également dans une dynamique de pouvoir où l’agresseur domine ou veut dominer la victime. C’est l’expression la plus extrême de la violence de genre, et bien qu’elle existe dans tous les pays et régions du monde, elle est particulièrement répandue en Amérique latine.
Avec 1,6 féminicide pour 100 000 personnes, les Amériques sont de fait le continent, juste derrière l’Afrique, où les femmes sont le plus souvent tuées en raison de leur sexe. En outre, les chiffres réels tendent à être plus élevés si l’on tient compte des problèmes de qualification au sein des systèmes judiciaires des pays de la région, qui souvent ne reconnaissent pas un féminicide pour ce qu’il est.
Profils des victimes vénézuéliennes de morts violentes en Colombie
Parmi les profils des victimes vénézuéliennes de morts violentes (féminicides et meurtres), des détails troublants sur l’identité de ces femmes ressortent. Tout d’abord, 10 % des victimes de morts violentes étaient des mineures qui auraient pu être victimes de la traite d’êtres humains.
On observe que beaucoup ont quitté leur pays avec un Colombien plus âgé qu’elles avaient rencontré peu de temps auparavant, et qu’à leur arrivée en Colombie, elles ont perdu tout contact avec leurs proches avant d’être retrouvés mortes dans des circonstances étranges.
La traite des personnes tend à augmenter dans les zones de conflit ou lors d’une crise migratoire, lorsque les pays d’accueil n’ont pas les ressources nécessaires pour accueillir et intégrer les migrants et les réfugiés nouvellement arrivés.
Cela crée un vide où les groupes criminels prolifèrent, profitant de migrants très vulnérables (en l’occurrence, les femmes vénézuéliennes) pour développer leurs réseaux d’esclavage, de prostitution et de travail forcé. Les femmes mineures sont particulièrement vulnérables aux offres trompeuses d’un avenir meilleur dans un autre pays, ou aux membres de réseaux de traite des êtres humains qui les attirent dans des relations mensongères.
Dans la plupart des cas analysés de morts violentes, les femmes souffraient de difficultés économiques. Dans un quart des cas analysés, les familles ont demandé un soutien pour le rapatriement de leur corps au Venezuela car elles n’avaient pas les moyens de couvrir les frais. Ces femmes travaillaient généralement dans le secteur informel et exerçaient des professions telles que la vente ambulante, travailleuse du sexe, serveuse et la réalisation des récoltes.
Dans deux des cas analysés seulement, les victimes avaient fait des études universitaires, et dans un des cas, la femme n’a pas pu les terminer faute de ressources. Cela coïncide avec les tendances mondiales en matière de féminicide, où les femmes ayant peu de possibilités éducatives et économiques sont les plus vulnérables à la violence et disposent de moins d’outils pour échapper à une relation violente qui pourrait se terminer par la mort.
Enfin, il convient également de noter que 76,7% des morts violentes de Vénézuéliennes en Colombie se sont produites alors que la victime était en Colombie depuis moins d’un an.
Pour déterminer la raison pour laquelle les femmes qui sont arrivées en Colombie au cours des deux dernières années sont plus exposées, il faudrait mener des recherches plus approfondies, mais cela pourrait avoir un rapport avec les caractéristiques de la troisième et dernière vague de migration vers la Colombie, composée principalement de migrants et de réfugiés vénézuéliens qui quittent le pays dans un état de vulnérabilité extrême en raison de l’aggravation de la crise vénézuélienne.
Intolérance et crimes de haine contre les Vénézuéliennes
Bien que nous ayons détecté que 6,6% des meurtres de Vénézuéliennes en Colombie étaient dus à des crimes de haine et à l’intolérance, c’est-à-dire à la xénophobie, le chiffre réel pourrait être beaucoup plus élevé, en raison des attitudes xénophobes présentes dans la société colombienne et des pratiques d’ « extermination sociale ».
Une enquête de l’institut Invamer réalisée en décembre dernier a mesuré les attitudes de la population colombienne à l’égard de la migration vénézuélienne et a révélé que la majorité des Colombiens en a une perception généralement négative.
Selon l’étude, 62 % des Colombiens ne veulent pas que le gouvernement accueille des Vénézuéliens, et 69 % ont une opinion défavorable des Vénézuéliens qui vivent déjà en Colombie.
En outre, le « nettoyage social » ou « l’extermination sociale » — une pratique des groupes armés et des paramilitaires qui prennent pour cible la population civile non armée en raison de caractéristiques spécifiques ou d’une condition ou identité sociale — est un problème qui persiste en Colombie.
Selon le rapport « Nettoyage social : une violence mal nommée » du Centre de la Mémoire Historique de Colombie, « des opérations d’extermination sont identifiées dans presque tous les départements de Colombie » et ont traditionnellement été menées contre des groupes tels que les sans-abris, les travailleuses et travailleurs du sexe, les voleurs et les toxicomanes.
L’année dernière, un prospectus diffusé dans la commune de Ciudad Bolívar à Bogotá, en Colombie, annonçant une opération d’extermination sociale des « Vénézuéliens et des gens vicieux » et priant de s’abstenir de sortir après 18 heures, disait : « Le temps est venu de l’épuration sociale. Il s’agit d’un avertissement général : en raison de l’augmentation de la criminalité dans nos quartiers ces derniers jours, nous avons pris la décision de procéder à un nouveau nettoyage social. Nous vous avertissons donc qu’à partir de 18 heures, nous procéderons à un nettoyage des Vénézuéliens et des personnes vicieuses ». Ce qui peut être vu comme un encouragement aux groupes armés à Bogota de prendre pour cible les Vénézuéliens en général, mais surtout les Vénézuéliennes qui exercent le travail du sexe.
Ces meurtres, qui sont le fruit de l’intolérance, sont très difficiles à détecter et à classer parmi les crimes de haine, en partie à cause des structures puissantes de ces groupes criminels qui contrôlent les territoires où ils se produisent. Ainsi, les Vénézuéliennes qui sont confrontées au machisme et à l’extrême xénophobie de ces groupes se trouvent dans une position particulièrement vulnérable.
Géographie des morts violentes de Vénézuéliennes en Colombie
Les départements qui ont enregistré le plus grand nombre de morts violentes de Vénézuéliennes en 2018 et 2019 sont Norte de Santander, Santander et Cesar avec respectivement 15%, 11% et 11% des victimes. La comparaison de ces chiffres avec les données du recensement national de 2018 montre que ces départements n’ont pas le pourcentage le plus élevé d’étrangers, mais en 2018, la quasi-totalité des victimes provenaient du Venezuela.

Alors que Norte de Santander est le département qui compte la deuxième plus grande population de migrants, avec 7,5 %, Cesar est à la quatrième place avec 3,7 %, et Santander à la dixième place avec une population de migrants de 2,3 %.
Toutefois, on a identifié plus de cas de morts violentes de Vénézuéliennes à Santander et à Cesar qu’à Arauca, où 1,6 % des morts violentes ont été enregistrées mais où la population migrante est de 8,4 %.
En outre, les départements de Norte de Santander et de Santander se situent en troisième et quatrième position en tant que zones où se pratique l’extermination sociale, selon le rapport du Centro de Memoria Histórica. Cela indique une forte présence de groupes armés qui pourrait contribuer à expliquer le nombre élevé de morts violentes de Vénézuéliennes.
En tout cas, être une jeune femme migrante vénézuélienne et être récemment arrivée en Colombie est aujourd’hui extrêmement dangereux. Les autorités feraient bien de tenir compte des conclusions de ces données et de mettre en place un plan national de prévention des féminicides. Fuir la faim et la misère au Venezuela pour finir immédiatement assassiné en Colombie n’a aucun sens.
Beverly Goldberg
Source : https://www.opendemocracy.net/es/
Traduction : Venesol