Féminismes, au pluriel

Il n’y a pas qu’un seul féminisme : il y en a beaucoup et qui défendent autant de causes que nécessaire dans un monde qui exclut, non seulement parce qu’elles sont femmes, mais aussi parce qu’elles sont noires, pauvres, de quartier, indiennes, etc. Au Venezuela, la variété est la norme et les féminismes sont plus actifs que jamais. Aujourd’hui, ce sont eux qui définissent le politiquement correct.

Il n’y a pas qu’un seul féminisme. Il existe plusieurs féminismes basés sur le fait que les luttes pour les droits fondamentaux des femmes se déplacent entre différents territoires : indigène, afro-descendant, universitaire, institutionnel, populaire.

La femme noire, par exemple, est triplement discriminée : pour être femme, pour la couleur de sa peau et pour être pauvre, car, dans la plupart des cas, il existe une relation étroite entre le phénotype et l’accès à l’éducation et aux possibilités de travail.

Ainsi va le monde, étouffant et injuste, plus encore si vous êtes une femme. Beaucoup considèrent l’égalité comme acquise et se contentent d’apparaître insignifiantes dans un monde dominé par les hommes. Ce sont celles qui accompagnent, qui subissent les différents types d’oppression et prétendent pouvoir justifier leur place dans la sphère familliale, du foyer, du travail.

D’autres, au contraire, se rebellent : insurgées, sauvages, insolentes, choquantes, provocatrices. « Ni Dieu, ni maître, ni mari », telle était la devise du journal argentin La Voz de la Mujer fondé par Virginia Bolten à la fin du XIXe siècle, que les anarchistes de l’Espagne républicaine répéteront plus tard à voix haute.

Leurs droits constituent un combat qui a traversé tout le XXe siècle et qui s’est imposé, avec toujours plus de force, au XXIe. Aujourd’hui, il est difficile de parler en termes discriminants sans être mal vu, et le politiquement correct, est d’inclure de plein droit la femme dans tous les domaines, de la politique à l’emploi, de l’occupation des espaces de pouvoir à leurs revendications essentielles en matière de droits.

Le féminisme vénézuélien est en plein processus de construction. Photo d’archive

Un féminisme populaire

Au Venezuela, les droits des femmes ont été mis en avant par la révolution bolivarienne, dans le cadre de ses propositions de revendication historique des classes populaires.

Le féminisme, au cours des deux dernières décennies, a réussi à positionner l’idée de l’égalité des sexes dans l’imaginaire collectif. Plus précisément, certaines avancées institutionnelles ont été réalisées, comme la création de l’Institut national de la femme en 1999, dirigé par María León ; la Médiatrice nationale des droits de la femme ; le 0800-mujer, qui reçoit les plaintes des femmes qui ont été violées et leur fournit des conseils ; les foyers d’accueil pour les femmes maltraitées avec leurs enfants ; les centre de prises en charge et de formations intégrales des femmes, etc. ; en plus de certaines dispositions légales comme la loi organique sur le droit des femmes à une vie sans violence, approuvée en 2007, au-delà de son application dans la vie réelle.

Yolanda Saldarriaga connaît ces luttes car elle vient du terrain, toujours dans le domaine du féminisme populaire. « Chaque période historique arbore des revendications en fonction des besoins et des oppressions que vivent les femmes ».

Pour elle, en Amérique latine, l’approche du féminisme est née des luttes sociales, contrairement à d’autres réalités géographiques et politiques, où les femmes sont davantage abordées à partir du milieu académique ou de la sphère privée.

Yolanda Saldarriaga, du féminisme populaire. Photo Jacobo Méndez

Féminisme de droite ?

Il y a, selon elle, différents féminismes, mais elle conteste catégoriquement la possibilité d’un féminisme de droite. Elle le considère comme une imposture : « Le patriarcat, le capitalisme et le colonialisme sont trois systèmes qui s’articulent et agissent de manière si coordonnée qu’il est difficile de les distinguer les uns des autres. Il est donc difficile de dire qu’on peut être féministe, être contre le machisme et défendre les droits des femmes tout en soutenant le capitalisme et la discrimination de classe ».

Selon elle, cette distinction est devenue plus claire avec le chavisme : le féminisme de droite s’est de plus en plus impliqué dans les agences de coopération internationale (ONG), en présentant les luttes des femmes comme un mécanisme d’accès aux ressources de ces organisations, qui ont fini par devenir des « entreprises » qui travaillent au dépens de la douleur des femmes.

Le féminisme externalisé

Au contraire, le féminisme de gauche a permis de massifier la question, en s’appuyant sur un processus historique d’accumulation des luttes et par l’irruption de la mondialisation et des médias. Cela a permis de relayer, au moins, les principales revendications des femmes, telles que la lutte contre la violence ou l’accouchement humanisé.

Mais on constate une tension entre le féminisme promu à partir des structures gouvernementales et le féminisme de caractère autonome, à partir des mouvements sociaux.

« Depuis le début, le gouvernement a pris en compte l’importance des femmes, mais quelque chose est apparu, que certains ont appelé l’externalisation, c’est-à-dire l’utilisation des femmes pour lutter pour les droits de tous…, sauf les leurs ».

Cependant, souligne-t-elle, « toutes ces tensions passent au second plan chaque 8 mars (Journée internationale des travailleuses) et 25 novembre (Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes), où elles doivent toutes être réunies, en brandissant leurs revendications ».

« Cesser d’être cette sorte d’élite que le féminisme cherche à être dans de nombreux pays ». (Yolanda Saldarriaga)

Saldarriaga a travaillé avec des organisations paysannes mixtes, puis avec l’École du Féminisme Populaire et, plus récemment, dans le cadre d’une expérience plus modeste appelée Malas Madres : un collectif de femmes qui se soutiennent mutuellement dans le processus d’éducation des enfants. Elle est colombienne, vit au Venezuela depuis 15 ans et a deux enfants.

Elle fait aussi remarquer le tout nouveau paysage qui se développe au Venezuela avec le travail des « compañeras » tels que le féminisme lesbien, le féminisme noir, le féminisme académique et la proposition du féminisme populaire. Ce dernier est apparu il y a sept ou huit ans suite à la rencontre des féministes vénézuéliennes et argentines, pour construire un mouvement qui, à partir du langage, des pratiques et de la reconnaissance des réalités concrètes des femmes du peuple, puisse « cesser d’être ce genre d’élite que tend à être le féminisme dans de nombreux pays, une élite plutôt académique et de classe moyenne. Un féminisme de villageoises, qui vivent des réalités telles qu’être mère célibataire, avec une vie difficile, dans une situation de guerre économique, sans personne pour les aider à s’occuper de leurs enfants ; où tous les services rendent leur vie quotidienne plus complexe, comme l’école, la santé, les transports ; ou la réalité de la gamine du quartier, qui ne voit pas d’autres possibilités d’avenir que de faire des gosses. Un féminisme présent, avec des personnes qui travaillent pour les revendications du peuple, mais aussi pour des revendications spécifiques aux femmes ».

Elle conclut que notre féminisme n’est pas encore un mouvement de masse, car il est en plein processus de construction et de renforcement, avec beaucoup de résistances à la fois propres et extérieures et l’intransigeance naturelle du patriarcat enraciné, avec toute sa puissance, dans différents milieux.

Les droits sexuels et reproductifs, un des combats. Photo d’archive

Profondément politique

Gabriela Malaguera définit le féminisme par un jeu de mots : plus qu’un mouvement de femmes, il y a au Venezuela des femmes en mouvement. Elle s’appuie sur les recherches de Gioconda Espina, une chercheuse de haut vol.

« Il y a des moments où les femmes de différentes organisations s’unissent pour certains combats. À d’autres moments, chacune défend ses propres tendances et visions, ce qui n’est pas mauvais car cela positionne la diversité des féminismes. Il n’y a pas un seul féminisme, en général, et c’est positif car du point de vue des générations, des connaissances, du militantisme politique, de la diversité par origine ethnique, etc., chacun y contribue avec son propre point de vue ».

Pour elle, certaines questions interpellent tous les mouvements, malgré les différentes tendances de chaque groupe : une de ces questions est la visibilisation des meurtres de femmes, des féminicides, qui a stimulé l’appel du plus grand nombre parce que l’essentiel est en jeu, c’est-à-dire la vie elle-même.

« Une autre question très sensible est celle des droits sexuels et reproductifs, en particulier l’interruption de grossesse. Cette question nous a également rapprochées. Bien sûr, toutes les féministes ne sont pas d’accord, cela fait partie de la diversité. Il s’agit cependant de luttes en suspens, qui invitent la plupart d’entre nous à faire entendre un droit qui est revendiqué ».

Pour Malaguera, l’esprit partisan divise le féminisme vénézuélien.
Photo Enrique Hernández

Les féminismes « partisans »

Selon elle, la grande divergence entre les féminismes vient de la polarisation politique des partis. « Quelles que soient ses perspectives, le féminisme est profondément politique, car il revendique les droits des femmes et positionne l’idée que les femmes ne sont pas des objets, mais des êtres humains avec des droits égaux et des conditions égales, c’est-à-dire l’équité ».

« Je crois que le grand fossé qui divise en ce moment le féminisme est la question partisane au Venezuela. Il y a un débat en suspens du féminisme avec lui-même, qui a trait à la question du patriarcat. Car ce n’est un secret pour personne que dans les partis politiques, la plupart des dirigeants les plus visibles sont des hommes, et pas exactement des proféministes », dit-elle.

Psychologue et diplomée en Études de la Femme à l’UCV, Gabriela Malaguera González est membre de l’organisation Mujeres por los Derechos (Muderes) et experte technique du Venezuela pour le mécanisme de suivi de la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre les femmes, mieux connue sous le nom de Convention de Belem do Pará.

Elle souligne que les féministes doivent être conscientes que cette situation conduit à la désunion, ce qui est contre-productif pour le féminisme. « Bien que nous ayons notre position politico-partisane, nous devons être très conscientes que celle-ci a un contenu patriarcal, d’obéissance à une ligne d’action particulière, d’obéissance au parti, d’obéissance à ce que dit le ‘chef suprême’, un homme. Cela nuit aux revendications féministes lorsque nous nous réunissons pour réclamer un droit quelconque ».

La violence sexiste est la plus grande cause commune du féminisme.
Photo d’archive

Marlon Zambrano

Source : http://epaleccs.info/feminismos-en-plural/
Traduction : Venesol