Migration et autres enfers : journal de quarantaine au Venezuela (III)

Dans un poème intitulé La ville, Kavafis avertit celui qui cherche fortune ailleurs : « N’espère rien. Tu as gâché ta vie dans le monde entier, tout comme tu l’as gâchée dans ce petit coin de terre » . C’est le « sens du tragique » que l’on prête aux Grecs. Heureusement (ou malheureusement), nous, les Latino-Américains (c’est du moins ce qu’on dit), ne l’avons pas, ce pourquoi nous sommes plus enclins au drame.

Des réfugiés vénézuéliens quittent la Colombie et rentrent au pays

Depuis quelques jours, des centaines de migrants (plus de deux mille, selon les autorités) rentrent au Venezuela, fuyant le Covid 19 et un autre virus qui ravage ces régions : la xénophobie. Ces dernières années, des vidéos devenues « virales » diffusent de tout, depuis des railleries jusqu’aux crimes de haine contre les Vénézuéliens qui, selon les analystes très futés, « ont fui l’échec du socialisme ».

Mais pourquoi reviennent-ils aujourd’hui ? Les analystes sont silencieux. Pendant ce temps, la réponse du gouvernement : les autres pays vont très mal et nous sommes l’Eden : avez-vous vu l’Equateur ? Quelle horreur ! Les cadavres s’empilent dans les rues.

Ce retour inattendu ne peut se réduire aux commentaires « officiels » d’un présentateur satisfait ou au silence scandaleux de la presse « d’opposition » traditionnelle. L’aller-retour de ces milliers de personnes doit être plus qu’une simple nouvelle de la mi-journée. Sinon, c’est un échec.

Que fuyaient-ils lorsqu’ils sont partis d’ici, et pourquoi retournent-ils maintenant chez eux ? Ils ont fui la crise et la crise les fait revenir. Les migrants, ici comme ailleurs sont les expulsés du système. Ici et là, les précaires sont l’armée de réserve de la machine à tuer du capital qui est aujourd’hui malade, et pourtant n’arrête pas son travail cruel d’exploitation de la vie pour repandre de la merde et distribuer la misère.

Tu arriveras toujours dans la même ville. Ne place pas tes espoirs ailleurs, nous dit Kavafis. Ne mettons pas nos espoirs dans un autre capitalisme. Même s’ils nous jurent que cette fois, il sera humain et chrétien !

Peu importe qu’il s’agisse du Grand Buenos Aires ou des mines de Cajamarca, nous arriverons toujours dans la même ville et nous découvrirons sans cesse que ce marché du troc de la sueur contre de l’amertume ne peut être notre Patrie.

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Un mythe me fascine depuis mon enfance, celui de Perséphone et de sa conversion de déesse du printemps à reine des enfers. Très belle femme, elle a été enlevée par Hadès, le dieu des Enfers. Partie à sa recherche, sa mère ravage la terre pour la récupérer. Finalement, elle est retrouvée, mais il y a un problème : Perséphone avait mangé quelques grains de grenade et dans la mythologie grecque, qui a avalé ne serait-ce qu’une bouchée en Enfer, doit y rester.

Pendant des années, l’administration américaine a été comparée au diable dans le récit du gouvernement. La tradition a été inaugurée par Chávez aux Nations unies lorsqu’il a lancé la fameuse « odeur de soufre » pour rappeler à ses pairs que George Bush (populairement connu sous le nom de M. Danger) s’était tenu à la même tribune quelques heures auparavant.

Dans cette armée du mal, on trouve un vieil ennemi que nous, Latino-américains, connaissons bien : le FMI. Un ange tombé du ciel qui a trompé tant les tyrans que les démocrates en offrant le salut en échange de quelques « ajustements ».

Étonnamment, au milieu du choc produit par la pandémie, le président Nicolas Maduro a, selon certains faiseurs d’opinion réputés, réalisé un « coup de maître » : il a demandé l’aide financière du FMI ! L’explication : c’était une « stratégie » très bien conçue pour montrer au monde que le FMI, en nous refusant son aide était foncièrement mauvais et ainsi (une fois de plus) dévoiler son essence perverse. Certains ont également fait appel aux petits caractères du contrat pour expliquer que ce n’était pas la même chose que les « sauvetages » octroyés à l’Europe.

Enfin, puisque nous passons ainsi d’une image à l’autre, il n’est pas superflu de rappeler la leçon de Perséphone : qui goûte un peu à l’enfer, y reste.

Neirlay Andrade,
militante communiste et journaliste vénézuélienne

Source: https://latinta.com.ar/2020/04/
Traduction: Venesol