Lettre ouverte du Réseau des intellectuels, artistes et mouvements sociaux à la Fondation internationale pour la liberté (FIL)

Le 20 avril dernier, sous la conduite de Mario Vargas Llosa, la FIL a publié un « manifeste » intitulé Que la pandémie ne soit pas un prétexte pour l’autoritarisme dans lequel elle fustige les États qui accordent plus d’importance à la santé de leurs citoyens qu’au modèle économique néo-libéral (lire ici). Multipliant par la suite les articles et déclarations incendiant les gouvernements dont les politiques ne correspondent pas à leurs vues, le REDH (Réseau Solidaire pour les Droits Humains) lui répond et l’interpelle : « Cela suffit ! »

Mario Vargas Llosa (à droite) et l’ex-président argentin, Mauricio Macri

Pour la énième fois, vous avez fait irruption, dans des termes offensants et irresponsables, pour fustiger les gouvernements d’inspiration humaniste qui, face à une très grave pandémie universelle, prennent des décisions dans l’intérêt de leur population. L’impunité grotesque de vos sophismes devient obscène lorsque vous accusez d’ « autoritaire », « populiste », « antidémocratique » ou « dictatorial » quiconque s’engage dans l’immense tâche de réparer les désastres économiques et sociaux produits par les gouvernements que vous exaltez comme défenseurs de la liberté simplement parce qu’ils donnent libre cours au macabre darwinisme social des marchés. Vous êtes les porte-parole impudents de gouvernements réactionnaires, génocidaires et corrompus responsables de milliers de morts, mais vous n’hésitez pas à disqualifier en les étiquetant de « régimes » des gouvernements qui expriment la volonté démocratique du peuple et qui prennent soin de sa santé physique et spirituelle à tout moment, ce que ne font pas ceux qui vous servent de modèles.

Le contenu et la forme opportunistes et charognardes avec lesquels vous maniez votre artillerie de calomnies sont devenus insupportables, renforcés par un chœur de partenaires médiatiques spécialisés dans le mensonge et la désinformation, conjointement responsables d’une bonne partie des tragédies que vivent nos peuples.

C’est pourquoi nous avons décidé de dire que cela suffit et d’appeler publiquement votre Fondation à s’engager dans un débat frontal et approfondi sur la grave situation causée par la combinaison du COVID-19 et de la profonde dépression économique actuelle. Un débat dans lequel nous pourrons démontrer la servitude mercantile de votre conduite, contraire aux besoins sociaux historiques qui, aujourd’hui plus que jamais, exigent de donner la priorité à la vie de la planète et des êtres humains sur les profits des sociétés multinationales ou la trompeuse « magie des marchés ». Nous vous interpellons une fois de plus, comme nous l’avons déjà fait lors de nombreux forums internationaux auxquels vous avez toujours refusé de participer, sachant que vous manquez d’arguments pour justifier vos positions idéologiques ou politiques. Et vous l’avez fait sans la moindre fierté, protégé comme toujours par le « bouclier » des grands médias, qui cachent les méfaits des membres de la FIL, de leurs mentors intellectuels et de leurs donateurs « désintéressés ». Cela suffit

Votre ramassis idéologique néolibéral et pseudo-républicain est un bavardage creux qui ne sert plus qu’à masquer les vols (fraudes?) des gouvernements et des groupes économiques qui parrainent la Fondation. La réalité montre que vous avez été une troupe au service des pires intérêts de la corruption structurelle du capitalisme, cachant derrière un manteau de rhétorique vide mais de haut vol l’exploitation d’hommes, de femmes et d’enfants privés de leurs droits et soumis à des humiliations sans limites. Pire encore, ils ont aussi vu leurs ressources naturelles pillées, dépréciées et détruites, sacrifiées avec acharnement sur l’autel du profit, et au lieu de condamner ces atrocités, vous les avez exaltées comme des modèles de bonne gouvernance. La défense que vous faites du privilège économique de quelques hommes d’affaires ; justifier un monde où le 1 % le plus riche détient plus de richesses que le reste de l’humanité est immorale et donc inacceptable. C’est un affront à la raison, une insulte à la dignité et à l’intelligence des gens et méprise, dans l’étalage d’un nouvel obscurantisme médiéval, les recommandations des milieux scientifiques qui appellent à mettre fin à la force destructrice des marchés. En pleine pandémie planétaire, votre logorrhée contre ceux qui se battent avec acharnement pour sauver des vies et défendre les droits sociaux est encore plus inacceptable alors que vous gardez le silence sur le fait que vos gouvernements amis bloquent l’arrivée des produits de base qui permettraient de lutter contre la pandémie. Ce comportement, que vous approuvez pour votre éternel déshonneur, s’appelle « un crime contre l’humanité ».

Nous en avons assez des discours meurtriers du capital. Acceptez un débat, que nous puissions faire comprendre, en vous nommant chacun, quels intérêts vous défendez et pourquoi vous avez gaspillé vos talents et, le cas échéant, votre prestige, pour devenir ce que vous êtes : de déplorables laquais des mafias financières qui dominent l’économie mondiale.

Discutons du rôle de l’État aujourd’hui dans la défense de la planète et de l’humanité.

Faisons le point sur la catastrophe sociale et écologique produite par les politiques que vous revendiquez, incarnez et prônez.

Discutons des mérites comparés de l’égoïsme et de l’individualisme débridés par rapport à l’éthique de la solidarité et de l’économie du bien vivre pour tous.

Discutons de ce que seront les modes de production durables et les relations de production justes dans le monde à venir, qui ne sera plus le même qu’auparavant.

Discutons des méthodes d’action exemplaires contre la corruption, contre l’accumulation de richesses dans quelques mains, contre la faim.

Discutons d’un monde où la démocratie participative prendrait en compte l’éducation, la santé, le logement, la sécurité sociale, une justice du travail sans restriction et des médias démocratisés afin qu’ « un monde, plusieurs voix » devienne une réalité.

Contrairement à vous, nous ne sommes pas payés par des petits copains du monde des affaires et soutenus par la presse voyou qui prétend se faire passer pour du « journalisme indépendant ». Fidèles à la meilleure tradition humaniste, nous croyons au débat et au dialogue jusqu’à ses ultimes conséquences. Nous le devons à nos peuples et à toutes les victimes, directes et indirectes, du néolibéralisme.

À vous de décider du lieu et de la date qui nous permettront de mettre définitivement les points sur les i.

Source : https://www.pagina12.com.ar/ Traduction : Venesol