Le 28 mai dernier, une flotte d’hélicoptères militaires américains a attiré l’attention en survolant le territoire national du Honduras, alors que 800 fantassins américains se préparaient à être transférés et débarqués en Colombie, soi-disant pour « renforcer les forces militaires colombiennes ». Mais « Contre qui ? », se sont demandé les Honduriens et les Colombiens. « Que se passe-t-il ? »

Ce n’est pas un hasard, affirme Gilberto Ríos, leader du Parti de gauche hondurien Liberté et Refondation, (LIBRE) dans l’interview qui suit « Le Honduras s’est toujours comporté comme une colonie, comme un satellite de la politique étrangère américaine ».
Mais auparavant, il est important d’examiner la chronologie et les mouvements militaires américains au Honduras et en Colombie ces derniers mois :
• 300 marines américains sont arrivés au Honduras sur la base aérienne américaine de Palmerola le 5 juin 2019. La base possède la plus longue piste d’atterrissage d’Amérique centrale. Les troupes faisaient partie de la Force d’intervention terrestre spéciale du Commandement Sud (SPMAGTF-SC).
• Le 4 septembre 2019, le Pentagone a confirmé le la construction de casernes sur la base aérienne de Palmerola pour un investissement de 21 millions de dollars. Notre source indique qu’elles sont destinées aux installations militaires, et non à l’aéroport, à la piste ou aux autres casernes.
• Sous la piste de Palmerola, une citadelle souterrainea été construite. La base, stratégique pour les nord-américains, est un centre de communication et un énorme dépôt de carburant pour leurs navires. Selon la source, on s’y déplace à l’intérieur dans des véhicules électriques, ce qui donne une idée de ses dimensions. Ils y disposent même d’une station de radio et de télévision pour rester informés.
• Dans une guerre majeure, la base sera sans aucun doute une cible militaire à détruire. En raison de son caractère, de sa dimension et de sa position géographique et stratégique au centre de l’Amérique centrale, il est très possible qu’ils aient placé des missiles antiaériens « The MIM-104 Patriot » ou similaires pour défendre ce site, ce qui fait du Honduras également une cible militaire dans une guerre entre les puissances.
• L’ancien chef de la CIA, l’actuel secrétaire d’État Mike Pompeo, a déclaré dans la capitale colombienne le 20 janvier 2020 que les États-Unis allaient prendre « davantage de mesures » pour soutenir l’opposant Juan Guaidó dans sa lutte pour destituer Nicolás Maduro du pouvoir au Venezuela.
• 100 parachutistes américains et colombiens ont participé à des exercices communs près de la frontière vénézuélienne du 23 au 29 janvier 2020. Des observateurs du Brésil étaient présents.
• Le 25 mars, un énorme arsenal d’armes a été saisi alors qu’il se dirigeait vers les trois camps militaires du département colombien de Guajira. Le transfuge vénézuélien et major général Cliver Alcalá, qui vit à Barranquilla depuis deux ans, a pris la responsabilité de l’arsenal. Il a déclaré à la station de radio de Bogota « W Radio » que l’arsenal faisait partie d’un contrat et d’un accord avec Juan Guaidó. Il a également affirmé que la DEA était au courant du plan d’invasion terrestre du Venezuela.
• Le 1er avril, des manœuvres navales géantes ont débuté au large des côtes vénézuéliennes sous le commandement de la 4e flotte du Commandement Sud. Vingt-deux États y participent.
• Le 16 avril, Pompeo lui-même a annoncé que le drapeau américain serait de nouveau hissé à l’ambassade des Etats-Unis à Caracas.
• Le 3 mai, huit membres d’un commando sont tués lors d’une tentative d’invasion militaire du Venezuela.
• Le 4 mai, huit mercenaires d’une autre expédition sont arrêtés, parmi lesquels deux anciens Marines nord-américains Luke Alexander Denman et Airan Berry.
• Le 27 mai, l’ambassade des États-Unis à Tegucigalpa, au Honduras, recommande à ses ressortissants de quitter le pays, prétendument en raison d’une « alerte sanitaire ». L’ambassade propose six départs de vols déjà été réservés entre le 28 mai et le 2 juin.
• Le 28 mai au Honduras, une flottille de l’armée est mobilisée avec la participation du 1er bataillon du 228e régiment d’aviation et l’utilisation de 10 hélicoptères, dont des Chinook CH-47, des Blackhawks UH-60 et HH60 de l’armée américaine. Ils survolent le Honduras qui n’autorise pas les vols commerciaux en raison du coronavirus.
• Le même jour, l’ambassade des États-Unis à Bogota a annoncé que 800 fantassins des forces spéciales arriveront en Colombie dans les premiers jours de juin pour entraîner et conseiller les forces militaires colombiennes, des forces militaires qui ont sans aucun doute plus d’expérience sur le champ de bataille que les nord-américains eux-mêmes après un conflit social et armé qui a duré plus d’un demi-siècle.
« La plus longue piste d’atterrissage d’Amérique centrale »
C’est dans ce contexte que nous avons demandé à Rios : Que pensez-vous des survols massifs des dix hélicoptères Black Hawk et Boeing CH-47 Chinookque ? Certains Honduriens qui critiquent la politique étrangère du gouvernement hondurien actuel la considèrent comme une politique subordonnée au Commandement Sud. Cette affirmation est-elle pertinente ?
Nous regardons avec beaucoup d’inquiétude ces exercices d’hélicoptères militaires qui se déroulent à 60 kilomètres de la capitale de la république sur la base de Palmerola, qui est la base nord-américaine dotée de la plus longue piste d’atterrissage d’Amérique centrale. Le Honduras s’est toujours comporté comme une colonie, comme un satellite de la politique étrangère américaine. Rappelons que depuis le premier coup d’État qui a eu lieu en Amérique latine en 1954, contre Jacobo Arbenz, les États-Unis ont utilisé le Honduras pour entraîner les troupes guatémaltèques qui allaient intervenir au Guatemala.

Plus tard, des troupes aéroportées ont également quitté le Honduras en 1965 pour mener le coup d’État contre Juan Bosch en République dominicaine. Dans les années 70, l’armée hondurienne a servi d’arrière-garde à l’armée salvadorienne pour combattre la guérilla du FMLN et dans les années 80, nous étions la célèbre base de la contre-révolution nicaraguayenne.
Un porte-avions continental
En menant une véritable politique d’agression contre les autres peuples du monde et, surtout, contre les peuples d’Amérique latine, le Honduras a toujours été ce que nous appelons un porte-avions continental. En 2001, et c’est pourquoi je dis contre les peuples du monde, l’armée hondurienne a participé à l’invasion de l’Irak. À l’époque j’étais photographe pour le journal El Libertador et j’ai visité la base de Palmerola. C’était la première fois que j’entrais dans la base et en tant que Hondurien, j’ai été choqué de ce que pour entrer sur cette base sur le territoire national, j’étais pratiquement traité comme un étranger. Un policier militaire de la garde américaine, un type de près de deux mètres de haut avec un horrible chien noir a procédé à une inspection très minutieuse de toute l’équipe de journalistes. C’était navrant de se rendre compte que sur notre territoire, il y a une base américaine qui est pratiquement un État dans l’État.
En 2009, lors du coup d’État contre le président Zelaya, après qu’il ait été enlevé et emmené à l’aéroport de Toncontin (l’aéroport international), la base de Palmerola a été la première « escale » de l’avion qui l’emportait, ce qui démontre la nature et la fonction de cette base dans cette région.
Position militaire stratégique
« Je pense que nous devons suivre la piste comme l’a fait le Commandement Sud après le coup d’Etat et envisager qu’il s’agit d’une stratégie régionale de contrôle militaire. Le Honduras, rappelons-le, a trois frontières terrestres avec le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua. Mais nous avons aussi neuf frontières maritimes ; nous avons même des frontières avec la Colombie. Nous sommes le pays d’Amérique centrale le plus proche géographiquement de Cuba. Pour les États-Unis, il s’agit d’une position militaire stratégique extrêmement importante.
Le gouvernement de Tegucigalpa a expulsé l’ambassadeur du Venezuela l’année dernière et a reconnu celui de M. Juan Guaidó. Quel est le rôle du Honduras dans la carte géopolitique des États-Unis ?
« Par rapport à ces exercice militaires il faut prendre en compte d’autres éléments. Rappelons-nous ce « pont humanitaire » entre Palmerola et la ville de Cúcuta en Colombie avec lequel il était prévu de faire des essais sur la façon dont, à partir du Honduras, des vols pourraient être organisés en vue d’une éventuelle agression contre le Venezuela. Cela s’inscrit également dans le contexte de la perte de crédibilité de Donald Trump qui, jusqu’à l’année dernière, était pratiquement assuré d’être réélu en novembre 2020. Mais avec la façon dont il a géré la pandémie du coronavirus, qui a déjà causé plus de 100.000 morts aux États-Unis et a infecté près de deux millions de personnes, et aussi maintenant avec le scandale du meurtre de Georg Floyd, il a un peu perdu le contrôle d’un mécontentement qui s’exprime de nombreuses façons dans les rues et dans l’opinion publique américaine ».
Trump et Obama
« Ce qui rend la situation de Trump encore plus tendue, c’est que s’il est vrai qu’il a une rhétorique xénophobe virulente, raciste et assez agressive en général et peu habituelle dans le chef d’un président ou d’un mandataire, la vérité est que dans les actes, Trump n’a pas envahi de pays depuis quatre ans. Il ne représente pas le complexe militaro-industriel et n’a pas été aussi déportable qu’Obama l’a été, par exemple. De plus, les meurtres de Noirs par la police aux États-Unis n’ont pas été aussi fréquents que sous l’administration Obama.
Je ne veux pas dire qu’il est bon ou qu’il est globalement meilleur qu’Obama, mais oui, ces caractéristiques doivent être soulignées car il est confronté aux pouvoirs de certains qui, eux, vivent directement de la guerre.
Le président du Honduras avec Guaidó
« Alors, que se passe-t-il ? Il n’est pas impossible que les faucons vendent à Trump l’alternative de la guerre comme une alternative viable pour rehausser son prestige au cours des mois qui restent avant les élections de novembre. Nous devons analyser ce qui se passe aux Etats-Unis, ce qui se passe au Honduras et ce qui se passe avec ces exercices d’hélicoptères militaires comme une réponse possible à ce qui se passe à l’intérieur des Etats-Unis ».
« Nous connaissons déjà le comportement de Juan Orlando Hernandez, le président de facto du Honduras. Il s’est totalement aligné sur le groupe de Lima, sur les lignes politiques de Washington. Mais en plus, cette semaine, il a même eu le toupet de rencontrer virtuellement Juan Guaidó et de le reconnaître toujours comme président du Venezuela, d’une manière que nous considérons comme une totalement absurde ».
Essayer les nouvelles technologies de guerre
Les deux aéroports internationaux de Tegucigalpa et de San Pedro Sula sont fermés depuis près de deux mois. Mais chaque semaine, le gouvernement Trump envoie des vols avec des Honduriens déportés des États-Unis et on ne sait pas s’ils ont ou non le Covid-19. L’ambassade des États-Unis à Tegucigalpa vient de publier un communiqué recommandant à tous ses ressortissants de réserver leur vol de retour aux États-Unis en raison de la propagation du virus. Comment interprétez-vous ce fait avec la logique qui consiste à effectuer ces survols avec des hélicoptères militaires dans le ciel hondurien depuis la base de Palmerola ?
« Pour nous, le mouvement des hélicoptères n’a rien à voir avec la pandémie. Ils pourraient passer pour effectuer des missions humanitaires, mais il s’agit clairement d’essais militaires, ils entraînent des pilotes aux nouvelles technologies de guerre américaines et c’est cela qui nous inquiète.
Le communiqué de l’ambassade cette semaine recommandait à ses citoyens de quitter le pays. Même si le Honduras ne se débrouille pas bien avec le Covid-19, je ne pense pas que les États-Unis soient l’endroit où il faut être en ce moment. Beaucoup de villes y sont parmi les plus infectées dans le monde. Pour nous, le message devrait donc être différent, compte tenu des circonstances et des réflexions que nous avons faites à propos des autres éléments du contexte ».
Le Honduras plus proche de Cuba et du Nicaragua
« Il nous semble que cela a plus à voir avec une avancée de leur politique militaire et qu’ils ont clairement des objectifs, et pas seulement le Venezuela. Je tiens à rappeler ce que j’ai dit précédemment : nous sommes géographiquement plus proches de Cuba et nous avons également une frontière avec le Nicaragua. Disons que l’axe du mal pour l’ultra-droite américaine est constitué par ces trois pays qui maintiennent un système socialiste, qui se sont opposés à la politique américaine et qui sont clairement été en état de siège permanent. Bien que Trump n’ait pas envahi, il a imposé une énorme quantité de sanctions contre le Venezuela, Cuba ou le Nicaragua qui ont été presque aussi néfastes ou plus néfastes qu’une agression militaire, peut-être pas une agression militaire majeure, mais elles ont causé d’énormes dommages aux populations. C’est ce que le gouvernement Trump a fait contre l’Iran, la Russie et la Chine. Ce n’est pas une forme de guerre de nouvelle génération qui s’accompagne de tout ce que nous connaissons sous le nom de Fakenews. Mais que c’est ce mécanisme d’agression économique qui génère en même temps des problèmes internes dans les pays. Ces derniers temps, on a vu une augmentation des combats en Colombie, ce qui peut créer les conditions propices à une agression militaire.
Créer une tête de pont pour l’invasion
« L’armée bolivarienne du Venezuela a également signalé la capture d’autres mercenaires directement engagés par le gouvernement américain, certains d’entre eux liés au président Trump lui-même. Un membre de la garde présidentielle a été capturé par l’armée bolivarienne dans ce qui semblait être une invasion, dont l’objectif était de créer une tête de pont lors d’une escarmouche qui devait déclencher une agression militaire plus importante.
Au milieu de la pandémie, il peut y avoir une agression militaire, bien sûr. Au milieu de la pandémie, cela pourrait même être une bonne excuse pour sortir les États-Unis de ses problèmes internes, ce qui est généralement ce qu’ils font avec la guerre, masquer ainsi leurs problèmes économiques, sociaux et politiques internes. Avec ces tentatives ou ces préambules d’invasion militaire, cela permet de développer un sentiment patriotique autour de cette situation et de lui imputer la situation économique américaine (en fait la situation du capitalisme mondial) qui traverse une crise évidente.
Terres de la femme du général Morazán
Quel est l’avenir de la base militaire américaine de Palmerola pour l’opposition politique au Honduras ?
« Si l’opposition politique arrive au pouvoir au Honduras, il nous semble que les terres devraient être totalement nationalisées. On dit que ces terres appartenaient, il y a 200 ans à l’épouse du général Francisco Morazán (1792-1842), María Francisca Úrsula Josefa Lastiri Lozano. C’était vraiment une femme très engagée dans la lutte Morazán. Quand son mari est décédé, elle a hérité de beaucoup de terres. Elle-même était issue d’une famille aisée et elle a consacré toute cette fortune à la lutte de Morazan pour la libération de l’Amérique centrale. Il est donc véritablement incongru qu’une base nord-américaine soit implantée sur ces terres.
« Voilà la situation et, comme le dit Ernesto Che Guevara « Nous devons toujours garder les yeux ouverts » car « On ne peut pas faire confiance à l’impérialisme, même pas un tout petit peu ».
Source : Vidéo de l’entretien avec Gilberto Rios par Dick Emanuelsson :
Traduction : Venesol