L’opposition divisée face aux élections

Les élections législatives au Venezuela auront lieu dans quatre mois. Finalement, et comme prévu, un secteur de l’opposition n’y participera pas. Une décision annoncée dimanche par un communiqué signé par 27 organisations de l’opposition, qui déclarent que ce qui se passera le 6 décembre ne sera pas une élection mais une fraude.

Le chef de l’opposition Capriles prend ses distances par rapport à Guaidó ;
positions divergentes au sein de son parti Primero Justicia.  Image : EFE

Le communiqué comprend les signatures de ce qu’on appelle le G4, c’est-à-dire Voluntad Popular, Primero Justicia, Acción Democrática et Un Nuevo Tiempo, ainsi que d’autres organisations regroupées autour de la stratégie abstentionniste. Cette option de boycott électoral n’est pas nouvelle dans l’histoire récente du Venezuela, on l’a déjà vue à l’œuvre à l’époque d’Hugo Chávez et s’est répétée en 2017 et 2018.

Toutefois, cette stratégie n’est pas partagée par l’ensemble de l’opposition. Si cela était déjà évident lors des précédents scrutins, c’est maintenant beaucoup plus évident puisqu’un secteur majoritaire des forces de l’opposition participera aux élections du 6 décembre. Le Conseil National Électoral a déjà indiqué que 105 partis se sont inscrits pour ces élections.

Le pari de l’abstention n’est pas non plus partagé au sein de nombreux partis du G4, divisés sur le sujet. Un cas significatif est celui de Primero Justicia, publiquement fracturé en trois positions. D’un coté, ceux qui font partie du pari autour de la formule du « gouvernement intérimaire », comme Julio Borges, par exemple. D’autre part, ceux qui s’opposent à cette ligne et qui, aujourd’hui, carte du parti à la main, annoncent qu’ils participeront le 6 décembre.

Une troisième position est défendue par Capriles Radonski. « Jusqu’où allons continuer à faire de la politique avec nos pieds ? Les pieds, il faut les avoir sur terre. Vous aviez un plan et ce plan a échoué. Va-t-on continuer à se battre avec le raté ? Cela suffit. (…) Nous devons sortir de la grande contradiction entre gouvernement et fantaisie. Gouverner sur Internet ? S’il vous plaît… ! », a déclaré l’ancien candidat à la présidence il y a quelques jours, en se dissociant à la fois de Guaidó — « le raté » — et du gouvernement.

La même chose se répète au sein de Acción Democrática où, d’une part, un secteur, dirigé par Henry Ramos Allup, a signé le communiqué dénonçant par avance la fraude, tandis qu’un autre, dirigé par Bernabé Gutiérrez, fait campagne depuis plusieurs semaines. Tous deux se disent représentants du parti, mais le second fait partie du directoire reconnu par la Cour Suprême de Justice. La gouverneure de l’État de Táchira et membre du parti, Laidy Gómez, s’est également jointe à l’option de la participation.

Si la répartition des forces est complexe, la division politique ne l’est pas. La déclaration d’abstention survient quelques jours après que Washington ait réitéré sa position concernant les élections. Elliot Abrams, dénoncé pour son implication dans les massacres en Amérique centrale dans les années 1980 et chargé de la question du Venezuela au Département d’État, a une nouvelle fois confirmé la position américaine.

« Les conditions pour des élections libres et régulières sont en fait bien pires qu’en 2018 (…) les élections législatives de décembre sont déjà truquées », a-t-il déclaré à la presse.

Ainsi, derrière la décision de participer ou non le 6 décembre, se trouve le principal enjeu : rester derrière la stratégie conçue et menée depuis les Etats-Unis, qui bénéficie d’un soutien interne à deux vitesses, ou avoir une politique propre, découplée de Washington. Il s’agit dès lors de bien plus qu’un débat sur l’abstention.

L’alignement sur les États-Unis comporte trois aspects essentiels. D’une part, elle entretient la fiction d’un gouvernement parallèle, inexistant dans le pays mais reconnu par l’arc des gouvernements qui suivent la politique étrangère américaine envers le Venezuela. D’autre part, et en lien avec le premier, soutenir la politique de plus en plus sévère de blocus économique et de vol des avoirs vénézuéliens à l’étranger. Enfin, et comme point central, maintenir le pari d’une sortie par le renversement de Nicolás Maduro.

Pour les partis d’opposition, cet alignement signifie soutenir un blocus qui frappe l’économie et la société dans son ensemble et qui n’a que peu de légitimité. Cela implique également de renoncer à l’exercice politique, à la participation électorale. La question, à laquelle ils n’ont pas de réponse, est la suivante : quel est le plan ? Sous cette absence de réponse se cachent les complots d’opérations secrètes, les tentatives de déstabilisation de la Force armée nationale bolivarienne, l’effondrement de l’économie nationale comme stratégie d’accès au pouvoir.

Ce scénario se développe alors que le pays est confronté à la montée de la pandémie de covid-19. Il y a actuellement 20 206 cas de contagion et 174 décès, un nombre faible par rapport pays voisins. Cependant ce nombre est préoccupant en raison de la rapidité de la contagion et des difficultés économiques auxquelles le pays est confronté, qui connaît également des défaillances dans le domaine de la santé, notamment dans les hôpitaux publics.

Face à l’apparition de la pandémie, le gouvernement a renforcé à la fois la distribution de matériel médical par le biais d’accords avec des gouvernements alliés, tels que la Chine, la Russie et Cuba, ainsi que le réseau développé au fil des années dans les districts populaires, avec, par exemple, des Centres de diagnostic complet. Ainsi par exemple, vendredi, un centre spécial de lutte contre le covid-19 a été inauguré dans le célèbre Poliedro de Caracas, avec 1 200 lits d’hôpital, une unité de soins intensifs, une salle d’opération et un laboratoire mobile. L’accès, les soins et les traitements seront gratuits pour les patients.

Le Poliedro de Caracas transformé en centre de soins

Avec la stratégie déjà définie avant le 6 décembre, la pandémie en plein développement, il reste à voir maintenant si Washington, au milieu de ses turbulences internes, donnera le feu vert à une action pour, une fois de plus, tenter un coup d’État.

Marco Teruggi

Source : https://www.pagina12.

Traduction : Venesol