Juan Guaidó semble proche de sa fin. Les grâces accordées à 110 opposants par le président vénézuélien Nicolas Maduro ont encore fragmenté l’opposition à l’approche des élections du 6 décembre. Henrique Capriles a déjà annoncé qu’il mettra sa candidature en jeu. Mais ce qui est en jeu est bien plus qu’une simple élection.

2020 aura été pour Juan Guaidó, l’année de son plus grand tour d’illusionniste et de sa chute, qui déjà semble inéluctable. L’illusion s’est produite le 5 février lorsqu’il s’est levé au Capitole à Washington DC et a été applaudi par Donald Trump, Nancy Pelosi et toutes les présents. Il semblait être là ce qu’il n’a jamais été : le président en charge du Venezuela.
La chute de l’illusion se produit en ce moment même, et celui qui le déloge est l’ancien leader vénézuélien Henrique Capriles Radonski, qui après un temps de silence médiatique est revenu au centre de la scène, des regards et des spéculations.
Il semble inévitable que l’invention Guaidó finira par s’éteindre. Son histoire politique, depuis sa reconnaissance en janvier 2019 par Trump, est une succession d’erreurs et d’incapacités. Le dernier épisode sur la liste est l’opération Gedeón, en avril de cette année, avec le débarquement raté de mercenaires sur les côtes du pays.
Son déclin progressif se fait sans grand retentissement. Son incapacité à proposer quelque chose de nouveau — ou même à répéter quelque chose d’ancien — a été couverte par les sanctions presque hebdomadaires annoncées par les États-Unis dans le cadre d’un blocus de fer, pourchassant les navires et les compagnies de navigation afin qu’ils ne fassent pas de commerce de pétrole avec le Venezuela.
Mais quelque chose s’est passé qui, ces dernières années, a systématiquement mis l’opposition en crise : l’arrivée d’élections. Et la prochaine campagne pour les législatives, le 6 décembre, risque de remodeler non seulement la carte de l’opposition, comme c’est le cas actuellement, mais aussi le type de conflit qui prévaudra à l’avenir.
La proximité des élections avait créé une série de divisions au sein de l’opposition, exacerbées par la décision clé prise par le président Nicolas Maduro de gracier 110 hommes politiques de l’opposition, ce qui a fini par briser ce qui était déjà brisé.
La carte maîtresse
L’annonce des grâces a eu un impact immédiat sur l’opposition : déclarations contradictoires, accusations mutuelles. Ainsi, alors que certains libérés des centres de détention affirmaient que c’était ce qui devait être fait, d’autres, généralement en dehors du pays ou réfugiés dans les ambassades, ont rejeté la mesure.
« Une réaction qui a fort attiré l’attention est que les bénéficiaires de la mesure ont rejeté la grâce, le pardon et ses conséquences, qui étaient, dans de nombreux cas la liberté de la personne », analyse Victor Hugo Majano, directeur du portail d’investigation La Tabla.
L’un des cas est celui de Roberto Marrero, détenu depuis le 23 mars 2019, qui au moment de son arrestation était un des plus proches de Guaidó : « Il semblerait qu’il n’a eu aucun contact avec lui qui lui aurait garanti un quelconque soutien de la part de son parti ; il a très ouvertement rejeté cette remise en cause du bénéfice de la grâce », a déclaré M. Majano.
La diversités des réactions par rapport à la grâce a montré le degré de fragmentation de l’opposition. Capriles, de son côté, se posant au centre de la scène, a fêté l’événement : « Aujourd’hui, grâce à mes efforts personnels, nous sommes heureux de la libération de 110 prisonniers politiques. Mon seul intérêt est de défendre les Vénézuéliens et d’obtenir la liberté du Venezuela », a-t-il déclaré.
Ainsi, l’ancien candidat à la présidence contre Hugo Chávez et plus tard Nicolás Maduro, s’est positionné comme une figure centrale de l’opposition : « Il revient triomphant, revendiquant la grâce qui en plus est très importante en nombre et profite aux personnes privées de liberté et aux personnes en fuite à l’intérieur ou à l’extérieur du pays », analys Majano.
Le directeur de La Tabla souligne également que la grâce concerne des hommes politiques et des dirigeants de tous bords, depuis les « milieux proches d’Oscar Pérez » — qui avaient tenté plusieurs actions armées —, des « députés qui se sont vus abandonnés », des responsables de quartier, jusqu’à des « personnalités de la bourgeoisie plus traditionnelle, comme Arnoldo Gabaldón Berti ».
Cette hétérogénéité « crée une très grande différence entre Capriles et la direction de l’opposition officielle, qui s’est éloignée d’autres composantes qui ne lui étaient pas de très proches sympathisants ».
En effet, l’une des nombreuses erreurs commises par Guaidó et le cercle qui l’entoure a été de fermer le jeu et de monopoliser la politique et les ressources économiques.

Les élections au Venezuela
la prochaine échéance électorale est au centre des débats de l’opposition. Les grâces, annoncées par le gouvernement dans le cadre d’un effort de « réconciliation nationale », visent en grande partie à construire un scénario qui permettre la participation du plus grand nombre possible de forces politiques.
« Le gouvernement a ouvertement déclaré qu’il a accordé ces grâces comme mécanisme pour faciliter la participation électorale de personnes qui non seulement sont éventuellement privées de liberté, mais aussi lever l’inégibilité de certains ».
La grâce lève les sanctions d’inégibilité, « afin que certaines de ces personnes qui étaient affectées par des sanctions pénales puissent accéder librement à l’élection », analyse Majano.
Il n’y a pas non plus de lien automatique entre la grâce et la candidature. L’un des graciés, Nicmer Evans, a déclaré lors de sa libération qu’il avait décidé de ne pas se présenter. Mais d’autres qui n’avaient pas encore décidé s’ils participeraient ou non « avaient besoin d’une garantie de plus grande confiance qui leur est offerte à présent ».
Les grâces sont donc un élément qui a accéléré la reconfiguration de la carte de l’opposition, déjà fragmentée en trois grands espaces. D’une part, ceux qui avaient déjà annoncé leur participation aux élections, et d’autre part, ceux qui ont proposé de s’abstenir, se sont divisés entre ceux qui soutiennent encore Guaidó et ceux qui se sont publiquement distancés de sa feuille de route.
Avec cette nouvelle situation, le domaine de Guaidó a été réduit, tant en ce qui concerne le nombre d’intervenants que sa capacité de dialogue avec le gouvernement, et le bloc de ceux qui participeront a été consolidé. « Nous n’allons pas laisser le peuple sans alternative », a déclaré Capriles mercredi soir, lorsqu’il a affirmé que l’opposition devrait faire partie de la législature. Stalin Gonzalez (leader du parti Un Nuevo Tiempo) qui ne partage pas l’option de l’abstention, a également annoncé avoir pris ses distances par rapport au parti.
Rupture de fond
La division de la droite vénézuélienne est plus profonde qu’une différence par rapport au 6 décembre. Il s’agit à présent de la possible consolidation d’un bloc, hétérogène, sans plate-forme commune pour l’instant, qui rompt avec le pouvoir qui dirige la politique vénézuélienne depuis Washington.
Les appels du Département d’État américain à l’opposition vénézuélienne pour qu’elle reste alignée derrière Guaidó et ne participe pas aux élections n’ont pas eu l’effet qu’ils auraient pu avoir il y a quelques mois. Bon nombre de dirigeants, ou partis, constatent l’épuisement d’une stratégie qui n’a conduit à aucune victoire et qui a soumis le pays à un blocus économique et politique.
Cet épuisement a aussi une date qui ressemble à une guillotine : le 5 janvier, lorsque la nouvelle Assemblée nationale entrera en fonction et mettra fin au mandat de Guaidó et de ceux qui le reconnaissent encore comme chef du pouvoir législatif. « Nous ne pouvons pas continuer à jouer au gouvernement sur Internet », a déclaré Capriles.
Il est donc possible de réarmer l’échiquier politique de l’opposition sur une carte où la centralité passera entre les mains de ceux qui misent sur la confrontation électorale et une plus grande autonomie politique. Les grâces du gouvernement ont été une carte décisive pour accélérer cette reconfiguration. Cette importance peut expliquer pourquoi, selon M. Majano, une décision aussi importante a été prise :
« Maduro assume l’entière responsabilité de ce que cela signifie, il s’expose directement, et il va tirer le bénéfice d’avoir pris cette décision directement lui-même ».
Cette démarche s’est accompagnée d’une autre, compte tenu de la configuration des élections de décembre : l’invitation, par un courrier signé par le ministre des affaires étrangères Jorge Arreaza, à l’Union européenne et à l’Organisation des Nations unies à participer en tant qu’observateurs et accompagnateurs électoraux. Josep Borrell, ministre européen des affaires étrangères, a déjà exprimé son soutien aux mesures d’amnistie.
« L’élection aura, peut-on lire dans le courrier d’Arreaza, une importance pour la ‘normalisation de la vie institutionnelle’, ce que cherche à empêcher la stratégie américaine qui maintient, pour l’instant, son soutien public à Guaidó et menace d’appliquer de nouvelles sanctions sur l’économie déjà bloquée et malmenée ».

Combien de temps le soutien à Guaidó durera-t-il encore ? Pour répondre avec plus de certitude à cette question, il faudra attendre les résultats des élections présidentielles américaines du 3 novembre. Ce qui est certain, c’est que Guaidó n’a pas fait ce qu’il était censé faire, et d’autres plans existent probablement, compte tenu de ses échecs. Mais l’erreur, plus que celle du député, appartient à ceux qui ont conçu la stratégie, c’est-à-dire à Washington, qui a une fois de plus fait une erreur de calcul dans le dossier du Venezuela.
Marco Teruggi
Source : Sputniknews / Traduction : Venesol