Ingérences britanniques

Le gouvernement britannique a discrètement donné 450 000 livres sterling de son budget d’aide à l’étranger pour établir une coalition « anti-corruption » au Venezuela par le biais d’un fonds très controversé qui prétend « s’attaquer à l’instabilité et prévenir les conflits qui menacent les intérêts britanniques ».

Le Premier ministre britannique Boris Johnson (à droite) rencontre Juan Guaidó,
le leader de l’opposition vénézuélienne, reconnu comme le « président par intérim » par le gouvernement britannique, Londres, 21 janvier 2020.
(Photo : Twitter/ Guaidó)

Dans une information communiquée par Declassified, le ministère britannique des affaires étrangères a déclaré qu’il avait accordé 250 000 livres sterling en 2019 pour créer la « Coalición Anticorrupción », qu’il décrit comme « une coalition anti-corruption de la société civile et des acteurs des médias libres, pour les aider à lutter contre la corruption et le crime organisé au Venezuela ».

Le ministère des affaires étrangères a versé 200 000 livres sterling supplémentaires à Transparencia Venezuela pour la période de mars à décembre 2020 « pour renforcer la durabilité de la coalition ».

Declassified a constaté que la coalition est dirigée par — et s’associe à — certains des individus et groupes les plus virulents du pays, opposés au gouvernement progressiste de Maduro. Les gouvernements britannique et états-uniens reconnaissent Juan Guaidó comme le « président par intérim » du Venezuela et ont ouvertement cherché à destituer Maduro de ses fonctions.

La coalition, dont le seul bailleur de fonds extérieur semble être le gouvernement britannique, compte déjà 781 organisations et promeut 243 « initiatives ». Transparencia Venezuela appelle le nouveau groupe un « mouvement de citoyens » qui espère parvenir à une « véritable transformation » et à un « nouveau Venezuela ».

Transparencia Venezuela a déclaré à Declassified qu’ils « présentent des rapports d’avancement et de gestion de projet tous les trois mois » à l’ambassade britannique à Caracas.

Les fonds ont été attribués par le Fonds britannique pour les conflits, la stabilité et la sécurité (CSSF) qui, selon le gouvernement, « travaille à la construction de la paix et de la stabilité dans les pays menacés d’instabilité ». Ce dernier est doté de 1,26 milliard de livres sterling.

Le gouvernement britannique avait précédemment refusé les demandes de Declassified de préciser qui il finance au Venezuela. En réponse à deux récentes demandes dans le cadre de la Liberté d’Information, le ministère britannique du développement international (DFID) a déclaré qu’il « dissimulait les détails des organisations que nous soutenons au Venezuela » pour des raisons de santé et de sécurité mais la pertinence de ces mesures en matière de santé et de sécurité n’est pas claire.

Un résumé du programme pour ce projet, daté de mars 2020, est la seule référence publique du gouvernement à la coalition vénézuélienne que Declassified a pu trouver. Il indique que 0,3 million de livres sterling d’aides a été alloué en 2019-2020 pour un « projet de lutte contre la corruption au Venezuela ».

Le document ajoute que « le programme finance également pour la première fois des activités au Panama et au Venezuela » et que la CSSF prévoit « une activité accrue » dans les deux pays avec le projet vénézuélien « axé sur la résistance de la société civile aux pratiques corrompues de l’État ».

Ce financement soulève des questions sur l’engagement du gouvernement en matière de transparence puisque le projet ne semble pas être mentionné sur le site web « DevTracker » du gouvernement, qui est censé répertorier tous les projets d’aide internationale du Royaume-Uni.

Un porte-parole de Transparencia Venezuela a déclaré à Declassified que le groupe « se concentre sur la transparence et la lutte contre la corruption, et pour cette raison, contrôle les ressources qui sont gérées ou qui sont sous la responsabilité des organes actuels de l’Etat ».

Pour un Venezuela intègre : Matériel promotionnel pour la Coalición Anticorrupción, soutenue par le Royaume-Uni.

Combattre dans la rue

Sur sa page « Qui sommes-nous ? », la coalition écrit que sa motivation est de « lutter activement pour mettre fin aux problèmes structurels qui perdurent depuis près de deux décennies et sont profondément enracinés dans ce pays ».

Nombre de ses initiatives nationales visent le gouvernement vénézuélien, tandis que sa page d’information contient de nombreuses critiques sur la manière dont Maduro a géré la pandémie de Covid-19 et des allégations de corruption.

Le site web du groupe ne précise pas qui dirige la coalition. Le ministère des affaires étrangères et l’ambassade britannique à Caracas ont ignoré les questions de Declassified sur les personnes impliquées dans la coalition.

Cependant, un récent rapport mentionne Yonaide Sánchez comme sa coordinatrice nationale. Sánchez, professeur à l’université Lisandro Alvarado de Barquisimeto, dans le nord du Venezuela, est une proche de Guaidó et a soutenu ouvertement les efforts de l’opposition pour renverser le gouvernement de Maduro.

Lors des violentes manifestations de rue d’avril et mai 2017, Sánchez a écrit que « chaque annonce de Maduro confirme que nous devons poursuivre la lutte dans les rues. Le gouvernement est de plus en plus isolé ».

En janvier 2019, peu après que Guaidó se soit auto-proclamé président du Venezuela, Sánchez a écrit : « Moi, Yonaide Sánchez… ne reconnais que Juan Guaidó — président de l’Assemblée nationale — comme le président légitime du Venezuela. J’espère pour le bien de mon pays que mon organisation est d’accord ».

En août 2020, la coalition a invité Guaidó pour une discussion sur le « carrefour électoral » au Venezuela, en demandant « Où allons-nous à partir d’ici ? » En présentant Guaidó comme le « président par intérim » du Venezuela, la conversation a porté sur les avantages d’inviter la Drug Enforcement Agency (DEA) nord-américaine à revenir au Venezuela après son expulsion par le président Hugo Chávez en 2005 pour des soupçons d’espionnage.

Le financement britannique des activités de « lutte contre la corruption » au Venezuela est susceptible d’ajouter aux soupçons selon lesquels le Royaume-Uni donne aux organisations de la société civile les moyens de renverser le gouvernement Maduro. Le gouvernement britannique n’est pas connu pour financer des groupes de lutte contre la corruption dans les États alliés, tels que les régimes du Golfe, où la corruption est courante.

En février 2017, l’ambassadeur britannique au Venezuela, John Saville, a participé à un événement sur la « transparence » aux côtés de Guaidó. En mai dernier, Saville a été identifié comme le chef de l’unité de reconstruction du Venezuela du ministère des affaires étrangères, qui, selon le gouvernement vénézuélien, fonctionnait dans le secret. L’unité cherche ostensiblement à « conduire le Venezuela vers une résolution pacifique et démocratique » de sa crise politique actuelle.

Lors d’un événement de la coalition en mars, Duncan Hill, l’ambassadeur adjoint du Royaume-Uni au Venezuela, aurait déclaré « Le Venezuela a été victime du plus grand pillage de l’histoire ».

L’actuel ambassadeur britannique à Caracas, Andrew Soper, a été premier secrétaire à Washington DC de 1995 à 1999, et a été dénoncé comme un informateur nord-américain « strictement protégé » dans un câble diplomatique de janvier 2010 alors qu’il était ambassadeur britannique au Mozambique.

Alors que la coalition était en cours de construction en octobre 2019, Soper a réaffirmé que « Guaidó a l’amitié et le soutien du Royaume-Uni ».

Le ministère des affaires étrangères n’a pas répondu à la question de Declassified sur l’état des relations actuelles de Soper avec l’ambassade américaine à Caracas.

Juan Guaidó (à gauche) avec l’ambassadeur du Royaume-Uni au Venezuela, Andrew Soper, qualifié d’informateur américain dans les communiqués diplomatiques de WikiLeaks. (Photo : Assemblée nationale vénézuélienne)

Le Centre Thatcher

Parmi les 20 organisations nationales de la coalition anti-corruption du Venezuela, beaucoup sont des critiques de longue date du gouvernement et des bénéficiaires passés ou actuels des financements des gouvernements occidentaux.

L’un des membres est le « Centre Thatcher », dont le site web a été mis en ligne moins d’une semaine après celui de la coalition. Bien que les informations d’enregistrement aient été rendues privées, les deux enregistrements par procuration ont été effectués par la même société basée en Arizona, aux États-Unis.

Le « Thatcher Centre » a été fondé en août 2019 par le journaliste vénézuélien Guzman González et est basé dans l’État de Carabobo, dans le nord du pays. Portant le nom de l’ancienne première ministre britannique qui était un fervent défenseur des régimes de droite en Amérique latine, le centre affirme que ses objectifs sont « une citoyenneté forte et un État faible ».

Superatec AC, un autre membre de la coalition, a reçu une subvention de 80 000 dollars de la Citibank en 2019, tandis que le responsable de Fetrasalud, la fédération des travailleurs de la santé a appelé tous les secteurs du pays à se joindre à Guaidó lors des manifestations nationales de mars 2020.

La coalition comprend également l’Asociación Civil Súmate (Association civile pour le rassemblement), qui reçoit depuis longtemps des fonds du National Endowment for Democracy (NED) du gouvernement nord-américain. Cette association a été fondée et dirigée par Maria Corina Camacho, figure clé de l’opposition à Nicolas Maduro.

La corruption est un problème grave au Venezuela, et la mauvaise utilisation des fonds publics a exacerbé une crise économique déjà grave. Cependant, les notations de corruption sont toutes produites par des organisations financées directement ou indirectement par des gouvernements occidentaux qui cherchent à renverser le gouvernement Maduro.

En 2017, l’ancienne procureure générale Luisa Ortega a fui le pays après avoir été licenciée et a obtenu l’asile en Colombie. Elle a soutenu que Maduro est impliqué dans le scandale de corruption autour de l’entreprise de construction brésilienne Odebrecht, et qu’un tribunal vénézuélien de haut niveau bloque une enquête, bien qu’aucune preuve n’ait été fournie publiquement pour appuyer ces allégations.

Entre-temps, les envoyés de Guaidó ont été accusés d’avoir détourné des fonds destinés aux déserteurs militaires vénézuéliens qui ont fui en Colombie en février et mars 2019. Selon la société PanAm Post, basée à Miami, deux responsables du parti Voluntad Popular ont gonflé le nombre de déserteurs afin de recevoir des fonds supplémentaires, et ont donc fait l’objet d’une enquête du gouvernement colombien.

En réponse à ce scandale, Guaidó a demandé à Transparencia Venezuela de lancer une enquête, qui a largement absous les personnes accusées de détournement de fonds. Après avoir publié ses conclusions, l’équipe de Guaidó a publiquement remercié Transparencia Venezuela pour son travail, affirmant que l’enquête prouvait « l’engagement de l’opposition vénézuélienne en faveur de la transparence et de l’utilisation correcte des ressources ».

L’équipe de Guaidó : « Où allons-nous à partir de maintenant ? »  
Matériel promotionnel pour un événement avec Juan Guaidó,
organisé par la « Coalición Anticorrupción ».

Transparencia Venezuela

Transparencia Venezuela prétend être un acteur « non partisan » au Venezuela bien que sa co-fondatrice et directrice, Mercedes de Freitas, ait établi et géré un certain nombre d’institutions financées par les Etats-Unis dans le pays.

Mme de Freitas a été directrice de la Fundación Momento de la Gente (Fondation Moment du peuple), une organisation de surveillance juridique basée à Caracas qui a reçu un financement important du NED et du National Democratic Institute (NDI), une autre fondation de « promotion de la démocratie » financée par le gouvernement nord-américain.

Selon des documents publiés par WikiLeaks, le NDI a financé des groupes d’opposition vénézuéliens depuis les premières années de la présidence de Chávez.

Le NED a été fondé en 1983 sous le président américain Ronald Reagan après une série de scandales embarrassants pour la CIA, et a été décrit par le Washington Post comme le « sugar daddy of overt [US] operations » [mécène particulier des opérations à visage découvert des USA – NDLT]. Allen Weinstein, qui a dirigé l’étude de recherche qui a conduit à la création du NED, a déclaré : « Une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui a été fait secrètement il y a 25 ans par la CIA ».

Par le biais d’institutions comme le NED, le gouvernement nord-américain a déboursé de l’argent pendant deux décennies au Venezuela dans le but d’y réaliser un changement de régime. En 2011, le NED a financé des groupes de rock anti-Chávez dans le but de déstabiliser le gouvernement.

Des documents obtenus grâce à la loi américaine sur la Liberté de l’Information montrent qu’en avril 2002, De Freitas a envoyé un courriel au NED pour montrer son soutien à la tentative de coup d’État infructueuse contre Chávez. Comme l’a rapporté The Nation, son courriel visait à « défendre les militaires et [l’homme d’affaires et chef de file du coup d’État Pedro] Carmona, en affirmant que la prise de contrôle n’était pas un coup d’État militaire ».

De Freitas a également travaillé comme coordinatrice de Queremos Elegir (Nous voulons choisir) — une organisation de la société civile qui a reçu des fonds nord-américains et a fait partie du mouvement contre Chávez au début des années 2000.

Depuis 2010, De Freitas est également vice-présidente de la Fundación Tierra Viva (Fondation Terre vivante), qui promeut « la conservation des ressources naturelles » mais dont les mécènes financiers sont les compagnies pétrolières Chevron, Total Oil & Gas, Shell Venezuela et l’ambassade britannique.

Les audits financiers de Transparencia Venezuela, publiés chaque année depuis 2005 (sauf pour 2019 et 2020), montrent que l’ambassade britannique à Caracas a été l’un de ses principaux bailleurs de fonds.

L’organisation coupole Transparency International, dont le siège est à Berlin et dont le revenu d’exploitation s’élève à 25,7 millions de livres sterling, est financée par les gouvernements nord-américain et britannique, entre autres, depuis sa création en 1993. En 2019, le DFID était le plus grand donateur gouvernemental, avec 4,4 millions d’euros, soit près du double du deuxième plus grand bailleur de fonds gouvernemental, le ministère des affaires étrangères du Canada. Le Département d’État américain a donné 743 799 euros.

Le plus grand donateur de Transparency International en termes de fondations privées est le géant minier anglo-australien BHP (anciennement BHP Billiton), qui a donné au groupe 1,9 million d’euros en 2019. Parmi les autres donateurs, on trouve Shell et Exxon Mobil, qui s’est engagée dans une bataille de plusieurs années avec le gouvernement Chávez concernant la nationalisation du pétrole. (Le Venezuela possède les plus grandes réserves pétrolières prouvées au monde).

L’un des quatre membres de Transparencia Venezuela, CEDICE, est un think tank qui « pense que l’ouverture du pétrole aux investissements privés » au Venezuela « est un pas dans la bonne direction ». Avec le soutien du réseau Atlas, un think tank nord-américain libertarien qui soutient les mouvements politiques de droite en Amérique latine, la CEDICE a financé le projet de recherche « Citizen Oil » visant à explorer les avantages de la privatisation du pétrole, qui a ensuite été inclus dans le plan économique de Guaidó pour le Venezuela.

Transparencia Venezuela a déclaré à Declassified qu’elle ne demandait pas le retrait de Maduro. « La coalition demande la transparence dans la gestion, avec la responsabilité, la participation des citoyens et un système de justice qui mette fin à l’impunité », a déclaré son porte-parole. Ils ont ajouté que le gouvernement britannique finançait la coalition parce qu’elle était anti-corruption, et non anti-gouvernementale.

La ventilation des flux de financement de l’organisation non gouvernementale Transparency International. La majorité de son financement provient
de gouvernements, dont beaucoup cherchent à destituer le président
du Venezuela, Nicolás Maduro, du pouvoir.

Les membres de l’opposition

Au sein du conseil d’administration de Transparencia Venezuela, qui compte neuf membres, siège l’ancienne directrice de la CEDICE, Rocío Guijarro, qui a été l’une des premières personnalités à signer la législation de 2002 qui a dissout les institutions démocratiques du Venezuela lors du coup d’État contre Chávez.

Andrés Duarte, membre du conseil d’administration de la Chambre pétrolière vénézuélienne, dont l’objectif est d’accroître la participation privée dans le secteur pétrolier du pays, siège également au conseil d’administration de la CEDICE. Miguel Bocco, un des membres fondateurs de Transparencia Venezuela et également membre du conseil d’administration, est un ancien directeur de la Chambre pétrolière vénézuélienne, et a appelé à la privatisation du secteur pétrolier vénézuélien.

Gustavo Linares Benzo, un avocat qui siège au conseil consultatif de Transparencia Venezuela, a soutenu dès novembre 2018 que Guaidó devrait appliquer l’article 233 de la Constitution vénézuélienne pour revendiquer la présidence vénézuélienne.

L’article 233 précise qu’en cas de « vide absolu du pouvoir » résultant de « l’incapacité physique ou mentale permanente » du président ou de « l’abandon de son poste », le président de l’Assemblée nationale assume légalement ses fonctions. Cet argument a fourni la principale justification juridique de la tentative de remplacement de Maduro.

Transparencia Venezuela répertorie également 24 membres dont Carlos Fernández. En tant que président de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie (Fedecamaras) en 2002, Fernández a joué un rôle clé dans le sabotage de trois mois de l’industrie pétrolière vénézuélienne qui visait à renverser Chávez. Jorge Botti, un autre ancien président de Fedecamaras, est également membre de la fédération.

Un porte-parole de Transparencia Venezuela a déclaré à Declassified : « Notre personnel et nos organisations alliées sont des défenseurs des droits humains, des combattants pour le droit à la santé, au bien-être des enfants, aux communautés indigènes, aux groupes vulnérables, à l’accès à l’information, à la justice, entre autres choses ». Le porte-parole a ajouté : « Dans la coalition, nous n’acceptons pas la participation de partis politiques ou d’organisations ayant des objectifs politiques électoraux ».

Le ministère britannique des affaires étrangères et l’ambassade britannique au Venezuela n’ont pas répondu aux questions de Declassified. La Coalición Anticorrupción n’avait pas de personnel ni d’informations de contact sur son site web.

Matt Kennard et John McEvoy

Matt Kennard est le chef des enquêtes de Declassified UK. John McEvoy est un journaliste indépendant qui a écrit pour International History Review, The Canary, Tribune Magazine, Jacobin, Revista Forum et Brasil Wire.

Declassified UK est une organisation de journalisme d’investigation qui couvre le rôle du Royaume-Uni dans le monde.

Source : daily maverick

Traduction : Venesol