« Nous espérons que l’on se souviendra de nous comme le gouvernement issu de la mobilisation du peuple bolivien pour retrouver la démocratie, la dignité, la paix, la croissance et la justice sociale », a déclaré Luis Arce dans son discours présidentiel depuis l’Assemblée législative. À ses côtés se trouvaient le vice-président David Choquehuanca, les présidents du Sénat et de la Chambre des représentants, Andrónico Rodríguez et Freddy Mamani.

Au même moment, le centre de La Paz était en fête ; mouvements sociaux, indigènes, miniers, syndicaux et le Movimiento Al Socialismo (MAS) de différentes régions du pays entouraient la Plaza Murillo. Les festivités avaient commencé la veille au soir, avec la veillée des organisations qui se tenaient près du lieu de l’événement.
Face aux menaces permanentes jusqu’aux derniers moments de groupes de droite, les mouvements s’étaient réunis préalablement. Samedi soir, une nouvelle concentration et une nouvelle marche ont eu lieu à La Paz revendiquant un audit des élections et la suspension de la cérémonie d’investiture. Bien qu’il était évident que l’investiture aurait lieu et que les forces de droite étaient pour la plupart épuisées, la vigilance face à d’éventuels imprévus s’est maintenue jusqu’au dernier moment.
La situation politique a été l’un des points centraux du discours du nouveau président. Il a évoqué ce qui s’est passé depuis le coup d’État comme « une guerre interne et systématique contre le peuple, en particulier contre les plus humbles (…) la mort, la peur et la discrimination ont été semées, le racisme s’est intensifié (…) la persécution des dirigeants du MAS et des mouvements sociaux, il y a eu des morts, des blessés, des emprisonnements, des persécutions, des isolements et des exilés ».
Le rappel des massacres de Sacaba et de Senkata, qui se sont produits quelques jours après le coup d’État de novembre dernier, était permanent et une minute de silence a été observée pour les victimes. Le nouveau président les a qualifiés de « symbole de dignité et de résistance », et a rendu hommage « à ceux qui sont tombés, aux héros du peuple qui ont reconquis la démocratie ».
Plusieurs représentants internationaux, tels que le gouvernement de l’Argentine, du Paraguay, de la Colombie, de l’Espagne, du Venezuela, de l’Iran, du Chili, des Émirats arabes, ainsi que des délégations de partis politiques de différents pays et des parlementaires et mouvements boliviens ont assisté à la prestation de serment.
Comme prévu, Jeanine Añez n’était pas présente. Elle avait annoncé, quelques jours avant, son départ pour la ville de Trinidad, dans le département de Beni, tout en niant une éventuelle fuite du pays. Du côté de l’opposition, Carlos Mesa, deuxième aux élections d’octobre et qui a reconnu la victoire de Arce dès le début, était présent. Cependant, lui et son groupe parlementaire ont quitté les lieux avant les discours.
« Nous devons surmonter la division, la haine, le racisme et la discrimination entre compatriotes. Que cessent la persécution de la liberté d’expression, la judiciarisation de la politique, les abus de pouvoir (…) l’impunité. Justice frères, mais une justice qui soit vraiment indépendante », a déclaré Choquehuanca, dans un message de dialogue et d’unité répété dans les deux discours.
Le nouveau gouvernement entre en fonction dans un contexte d’instabilité. Si ceux qui composaient le gouvernement de facto sont en retrait ou s’évadent éventuellement du pays pour ne pas avoir à rendre de comptes, et si Carlos Mesa cherche à se conformer en tant que principale opposition, il reste un mouvement, dirigé en partie par Luis Fernando Camacho, troisième aux élections, qui incarne l’aile la plus radicale de la droite. Ceux-ci ne reconnaissent pas la validité des résultats ou de l’investiture. Que feront-ils désormais ? C’est l’une des principales questions.
« Ces groupes minoritaires ne brandissent le drapeau de la démocratie que lorsque cela leur convient, et lorsque cela ne leur convient pas, ils recourent à la déstabilisation, à la violence ou aux coups d’État pour prendre le pouvoir », a déclaré M. Arce, faisant référence à l’utilisation qu’ils ont faite des « groupes paramilitaires », qui ont mené des actions jusqu’à vendredi, à Cochabamba ou Santa Cruz.
Le gouvernement est confronté à une triple crise, a rappelé Arce : démocratique, produit du coup d’État et du gouvernement de facto ; sanitaire, due à la pandémie ; et économique. L’administration d’Añez a laissé les chiffres dans le rouge, avec une baisse de 11,1% du PIB, un déficit budgétaire de 12,1%, un déficit de 8,7% du Trésor fédéral, et une dette de 4,2 milliards de dollars contractée au cours des onze derniers mois. « Chaque jour qui passe sans que l’on agisse, est un jour qui complique la situation », a déclaré le président.
Les attentes de la société à l’égard du nouveau gouvernement sont grandes. Tant de la part de ceux qui se sont mobilisés sur la place Murillo, que par les 36 nationalités indigènes, l’organisation des Ponchos rouges qui faisait partie de la sécurité présidentielle, ou la Centrale des travailleurs boliviens, mais aussi par de larges couches de la population qui, en moins d’un an, ont dû faire face aux impacts d’une récession, de la pandémie, et d’un gouvernement de fait qui a menacé, persécuté et n’a répondu à aucune de ses promesses.
Le nouveau président a évoqué la question internationale et a déclaré, comme il l’avait déjà annoncé, qu’il concentrerait ses efforts sur la construction de « l’unité politique de la diversité de l’Amérique latine et des Caraïbes » par le biais de la Celac, et de l’Unasur sur la scène sud-américaine, « en tant qu’espace d’intégration et mécanisme de coordination des politiques, où nous nous réunirons tous, indépendamment des orientations politiques des gouvernements ». Le nouveau gouvernement bolivien apparaît comme un acteur possible de rapprochement et de collaboration des différentes forces progressistes latino-américaines.
L’investiture de Luis Arce ouvre un nouveau moment dans le processus de changement bolivien : « Nous nous sommes engagés à rectifier ce qui était mauvais et à approfondir ce qui était juste », a déclaré M. Arce. Dans cette nouvelle étape, des défis internes apparaissent, comme des demandes d’une autre répartition des responsabilités à la tête du mouvement, ainsi que des menaces de la part de forces déstabilisatrices qui ont déjà annoncé qu’elles ne reviendraient pas — ou du moins c’est ce qu’il semble — sur les voies démocratiques.
La Paz était en fête ce dimanche. Tout bientôt, Evo Morales sera de retour au pays, et la Bolivie laisse derrière elle l’une des pages les plus sombres de son histoire récente avec une victoire démocratique et un nouveau gouvernement populaire.
Marco Teruggi
Source : https://www.pagina12
Traduction : Venesol