Ce qui est en jeu dans cette élection n’est pas tant le pouvoir législatif que la possibilité d’établir la reconfiguration du conseil national, avec ses conséquences internationales et économiques.

Tout est en place pour une élection législative décisive au Venezuela. Le Conseil national électoral (CNE) a effectué les tests des nouvelles machines de vote, l’installation des bureaux de vote, et les observateurs internationaux ainsi que des invités spéciaux, tels qu’Evo Morales et Rafael Correa, sont déjà sur place. Au total, 277 députés doivent être élus, ce qui augmente le nombre actuel de 167, 107 partis y participent.
Le pays arrive au jour des élections dans un contexte d’apparent calme politique. C’était un objectif difficile à atteindre, en cette année marquée par la pandémie, la quarantaine dans une économie en récession et sous blocus, la tentative de débarquement en mai de mercenaires dans le cadre de l’opération dite Gedeón, et des élections aux États-Unis, avec la nécessité pour Donald Trump de consolider le vote en Floride, d’où une augmentation de la pression sur le Venezuela.
Au cours de l’année, la reconfiguration de l’échiquier politique a progressé, avec l’augmentation d’une opposition hétérogène désireuse de participer aux élections, consolidant un bloc de partis qui s’est formé en quatre étapes, s’éloignant de la stratégie du coup d’État : d’abord ceux qui ont participé aux élections présidentielles de 2018, puis ceux qui ont formé la Table de dialogue national en septembre 2019, troisièmement, ceux qui ont porté le conflit à l’Assemblée nationale en janvier 2020, et enfin, les différentes ruptures qui se sont produites ces derniers mois.
C’est ainsi que s’est formée ce que l’on a appelé l’opposition démocratique, ou l’opposition collaborationniste, par ceux qui soutiennent la stratégie de coup d’État du gouvernement parallèle. De son côté, ce groupe officiellement dirigé par Juan Guaidó, n’ayant pas la capacité de répondre aux attentes, a été déplacé du centre politique national et a vu se réduire sa base sociale. La dernière carte qu’il joue cette année est la soi-disant « consultation populaire » qui sera menée virtuellement du 7 au 12 décembre et, le 12, sera également en « présentiel ».
La « consultation » se présente comme un mécanisme visant à entériner la « présidence intérimaire » entre les mains de Juan Guaidó ou son éventuel remplacement. Bien que l’appel ne semble pas avoir eu d’écho dans le pays, il bénéficie du soutien public du gouvernement américain qui, ces derniers jours, a une nouvelle fois condamné les élections législatives et ratifié son soutien à Guaidó.
Mais on sait que l’administration Trump vit ses derniers mois, cette administration qui a développé une stratégie contre le gouvernement de Maduro en combinant blocus économique, siège diplomatique, tentatives d’actions énergiques, mise à prix de la tête du leadership chaviste, et une erreur constante de calcul sur la corrélation interne des forces, dont le plus grand représentant était Guaidó.
L’échec de la stratégie de Trump a entraîné une série de questionnements aux États-Unis, qui pourraient amener l’administration de Joe Biden à changer d’approche, quoiqu’en conservant le même objectif : un changement de gouvernement. Il est alors probable que, bien que la formule du « gouvernement intérimaire » bénéficie de son soutien, on assistera à une modification qui permettra un dialogue dans lequel non seulement le chavisme, mais aussi l’opposition politique et commerciale, qui condamne le blocus, sont prêts à s’engager.
Pour l’instant, l’accent est mis sur l’élection du 6 décembre. Maduro a répété à trois reprises que, s’il perdait, il quitterait la présidence. Son annonce peut être interprétée comme un appel au vote, tant pour l’opposition que pour le chavisme, dans un contexte où l’un des débats centraux est de savoir quel sera le taux de participation. Lors de l’élection présidentielle de mai 2018, ce taux était de 46,1 %, avec 6 245 862 voix pour le chavisme, dans un scénario marqué par l’appel à la non-participation d’une opposition majoritaire.
Les élections législatives au Venezuela ont généralement un taux de participation plus faible que les élections présidentielles. Le dernier scrutin, en 2015, remporté par l’opposition, avait été atypique, avec 73,1 % de participation. La droite s’est alors unie autour de la Table d’Unité Démocratique, la situation économique était marquée par une pénurie de produits de première nécessité, le salaire de décembre de cette année-là était d’environ 18 dollars, et la société était, en général, très mobilisée.
Les cinq années qui se sont écoulées depuis lors ont été profondément complexes, avec l’accusation « d’abandon de poste » portée contre Maduro par l’Assemblée nationale depuis 2016, la tentative de prise de pouvoir en 2017, l’élection de l’Assemblée nationale constituante, les opérations armées et l’escalade du blocus sur des secteurs stratégiques de l’économie, une inflation suivie d’une hyperinflation puis d’une forte inflation, la création d’une fiction de gouvernement parallèle, la dollarisation de fait de grands secteurs de l’économie, des migrations massives avec les envois de fonds qui en découlent, une baisse des salaires à deux dollars, jusqu’en décembre de cette année, ces cinq années ont profondément meurtri le corps social.
Mais au cours de ces années, le chavisme a mené à bien un processus de consolidation de la machinerie du Parti socialiste unifié du Venezuela, qui, articulée avec les Comités locaux d’approvisionnement et de production, ainsi qu’un ensemble de politiques sociales, a consolidé sa présence sur tout le territoire du pays, en particulier dans les zones populaires où l’opposition n’est généralement pas présente.
Cette structure sera essentielle lors des élections de ce dimanche où l’enjeu ne se limitera pas au pouvoir législatif, mais à la possibilité de concrétiser la reconfiguration de l‘échiquier national, avec ses conséquences internationales et économiques.
Marco Teruggi