Élections en Équateur : la présence toujours menaçante de Washington

Le changement d’administration aux États-Unis n’a pas empêché que ce pays tente de faire pression, afin que ses intérêts soient favorisés lors de chaque élection dans le monde. C’est le sort destiné à ceux qui cherchent à maintenir un pouvoir hégémonique quand celui-ci tend à décliner. Dans le cas de l’Équateur, cela implique de soutenir Guillermo Lasso, multimillionnaire et candidat de la droite équatorienne. La souveraineté ou la dépendance ressortissent de ce jeu politique.

Andrés Arauz

Les gouvernements américains, en particulier sous Obama, puis avec Donald Trump (et la nouvelle administration de Joe Biden ne sera pas l’exception), ont intensifié leurs actions déstabilisatrices contre l’Équateur. Ils l’ont fait, pour susciter constamment des mouvements de déstabilisation dans de nombreux domaines contre le gouvernement de l’ancien président Rafael Correa, accusé de former un axe anti-américain avec Cuba, le Venezuela, la Bolivie d’Evo Morales et le Nicaragua. Les États-Unis qui, après le triomphe de Lénine Moreno — ancien vice-président de Correa — ont réussi à créer une mutation politique, en apportant leur soutien inconditionnel à l’actuel président Lénine Moreno, dans un contexte d’accusations de corruption familiale, qui tôt ou tard le conduira devant la justice.

L’idée de Washington était d’empêcher, par tous les moyens possibles, que les dirigeants du monde progressiste et du monde indigène bénéficient d’un soutien politique, communicationnel et international qui leur permettrait de repenser à une nouvelle étape de réformes profondes en Equateur. Même, et j’insiste sur ce point, si cela signifie protéger des dirigeants corrompus comme Moreno, un personnage que les révélations de WikiLeaks dénoncent comme bénéficiaire de dizaines de millions de dollars déposés par des membres de sa famille et des hommes de paille dans des paradis fiscaux.

Washington agite sa marionnette

La campagne électorale en Equateur, où l’élection présidentielle aura lieu le 7 février prochain, montre que Washington s’efforce de garder le contrôle total du pays, ce qui ne peut être garanti qu’avec la victoire de son candidat: l’homme d’affaires et banquier Guillermo Lasso. Ce personnage, qui en est à sa troisième tentative d’occuper le Palais Carondelet, est la clé que les Etats-Unis veulent détenir, pour tenter de restaurer leur influence après les pertes de ses marionnettes politiques avec la défaite de Mauricio Macri en Argentine et en Bolivie, où Carlos Mesa a subi une défaite cuisante face au candidat du MAS, Luis Arce Catacora. Aujourd’hui, en manipulant l’information, la finance et la politique, Washington brandit la figure de Lasso et de ses cercles de pouvoir de la droite équatorienne.

Malgré cet effort notoire et l’ingérence des États-Unis, les derniers sondages d’opinion, tant en Équateur qu’à l’étranger, montrent le rejet persistant de la grande majorité des Équatoriens à l’égard des plans américains visant à transformer le pays en une colonie obéissante de Washington dans lequel, avec Lénine Moreno, ils ont réussi à planter leurs griffes. Un Lénine Moreno, qui pour marquer son soutien inconditionnel a permis la capture de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks et réfugié à l’ambassade équatorienne à Londres, par la police britannique[1]. Une exigence de la justice américaine, qui ne pardonne pas à Assange d’avoir révélé la conduite criminelle des gouvernements et des institutions américaines.

Dans sa grande majorité, la société équatorienne veut un pays souverain, que le futur président du pays en tant qu’homme politique indépendant, puisse remettre l’Équateur sur la voie du développement et de la stabilité, ce que représente cette fois le binôme formé par Andrés Arauz à la présidence et Carlos Rabascall à la vice-présidence du mouvement Union pour l’espoir (qui réunit la révolution citoyenne de l’ancien président Rafael Correa et le Centre démocratique). Pour citer Fran Pérez Esteban, responsable de la politique internationale d’Izquierda Unida, « le rival d’Arauz est un vieux renard, Guillermo Lasso, un banquier bien connu de la droite financière néolibérale, qui se présente pour la troisième fois après avoir conclu une alliance avec le Parti social-chrétien, la principale force de la côte. Il est le candidat des riches et des États-Unis, le cerveau caché de Lénine Moreno qui agit dans l’ombre ». Ce n’est pas pour rien que La Société financière internationale pour le développement (DFC) des États-Unis a approuvé en juin 2020 des investissements de 242 millions de dollars pour financer des prêts aux banques privées équatoriennes. Les bénéficiaires ? Banco Pichincha, propriété de Fidel Egas (qui possède également Teleamazonas) et Banco Guayaquil, propriété de Guillermo Lasso. Deux fidèles serviteurs de l’empire duquel ils ont bénéficié en termes de protection financière pour leurs nombreuses transactions et opérations triangulaires nternationale. De là à penser que l’assujettissement du pays devra être payé avec plus que de simples intérêts de crédit…

Les agences et les services de renseignement des États-Unis, même en cette période de changement de gouvernement de Trump à Biden, ont intensifié leur action d’ingérence et de déstabilisation en Équateur. Pour éviter un scénario futur défavorable quant à savoir qui a le plus de chance d’occuper la première magistrature en Équateur — actuellement le duo Arauz-Rabascall — Washington a augmenté son activité sur les réseaux sociaux, avec une utilisation massive de Facebook et Twitter contre Arauz directement, ainsi que dans la pression contre le chef du Conseil national électoral, pour commencer à faire passer pour acquis un second tour, une situation très éloignée des sondages qui indiquent une victoire au premier tour pour Arauz. Les médias, rivaux du binôme Arauz-Rabascall, et le gouvernement répètent sans cesse qu’il y aura un second tour en Équateur.

Une telle situation a fait naître des soupçons de fraude électorale le 7 février. À ce jour, 13 millions d’Équatoriens à l’intérieur et à l’extérieur du pays sont appelés à choisir un président lors d’élections qui permettront également l’élection des 137 membres de l’Assemblée nationale (Parlement monocaméral). Ceci dans un scénario à 16 candidats, un pourcentage important de la population indécise et un gouvernement en place dont la cote de désapprobation est de 90 %[2].

Les attaques contre Arauz s’expliquent par le fait que, contrairement aux 15 autres candidats en lice, le programme gouvernemental du candidat d’Union pour l’Espoir a pour objectif fondamental d’améliorer les conditions de vie socio-économiques de la population, en mettant l’accent sur les secteurs les plus défavorisés, durement touchés par la pandémie et par la politique économique de Moreno axée sur la satisfaction des plus puissants. Un autre axe essentiel du programme d’Arauz est la lutte frontale contre la corruption (un crime dont le président Moreno lui-même, son entourage et sa famille sont accusés) ainsi que de réduire la dépendance de l’Équateur vis-à-vis de Washington et des organisations internationales contrôlées par les États-Unis, telles que le FMI [3](3). Arauz a également déclaré qu’il développerait un dialogue constructif et une coopération dans de nombreux domaines et secteurs avec les États étrangers dans des termes et dans le cadre d’un partenariat équitable.

L’analyse politique interne de la situation équatorienne actuelle — compte tenu de l’ingérence américaine évidente et de ce que les forces de droite se mettent au diapason de Washington — n’est pas de bon augure pour que le 7 février soit acceptée la victoire du binôme Arauz-Rabascall. Les accusations de fraude se font déjà entendre avant même les élections. Lasso et ses partisans n’accepteront, tout comme les macristes en Argentine ou l’opposition au Venezuela, que Arauz-Rabascall soient déclarés vainqueurs. C’est la seule alternative de leur arrogance antidémocratique. Ce qui est incontestable, dans cette prétention absolument disproportionnée, c’est qu’un éventuel triomphe du banquier Lasso entraînera de nouveaux bouleversements sociaux et économiques, où le chaos pourrait à nouveau être l’horizon de millions d’Équatoriens. Où l’oppression de la population indigène va augmenter ainsi que les taux de criminalité.

Il ne reste que quelques jours avant les élections générales en Équateur, quelques jours pour que les 40 % d’indécis expriment leur préférence pour la reprise future, c’est-à-dire pour le binôme Arauz-Rabascall. Il faut lancer un appel clair à la population : allez dans les bureaux de vote le 7 février et votez pour ceux qui représentent les vrais intérêts nationaux. Le défi pour l’alliance Union for Hope est de gagner au premier tour, étant donné que la loi électorale organique de l’Équateur stipule que pour qu’un candidat gagne au premier tour, il doit emporter 40% des suffrages et un avantage de 10 points de pourcentage sur le second candidat.

Si cela ne se produit pas, les deux meilleurs scores s’affronteront lors d’un second tour qui se tiendra le 11 avril 2021. Seule une victoire au premier tour empêchera Lasso, Moreno et ses partisans ainsi que l’ambassade étatsunienne d’unir leurs forces pour tenter d’imposer une idée de fraude inexistante et permettre ainsi à Lasso, le banquier et aspirant présidentiel chronique, d’occuper le siège de Carondelet. Rafael Correa ne peut pas se présenter aux élections mais l’axe Corréisme/anti-Correisme définit le scénario électoral en Équateur dans lequel le duo Arauz-Rabascall, avec l’héritage de la Révolution citoyenne, peut une fois de plus marquer l’histoire de la nation sud-américaine. Ce qui est en jeu en Équateur, c’est la possibilité de revenir à un véritable État de droit et le retour à la souveraineté politique nationale ou de rester subordonné, comme ces années l’ont été avec Lénine Moreno. Souveraineté ou dépendance, tel est le véritable choix.

Pablo Jofre Leal

Source : Telesur Traduction : Venesol


[1] https://segundopaso.es/news/1297/Libertad-para-Juli%C3%A1n-Assang

[2] Nous avons signalé dans l’article publié sur le portail https://segundopaso.es/news/1294/Elecciones-en-Ecuador-Un-camino-plagado-de-inc%C3%B3gnitas que le peuple équatorien a rendez-vous avec les urnes, dans un cadre national et mondial affecté par la pandémie de Covid-19 et une présidence, administrée par Lénine Moreno avec 90% de désapprobation des citoyens et une population dont, selon les sociétés de sondage, 40% sont encore indécis.

[3] Dans une interview accordée à EFE, le candidat de l’alliance Union pour l’espoir a également qualifié de draconiennes les conditions convenues par le gouvernement du président Lenín Moreno avec le Fonds monétaire international (FMI) pour le versement de 6,5 milliards de dollars américains en 2020. Le candidat à la présidence de l’Équateur, Andrés Arauz, a déclaré qu’il ne respecterait pas les conditions d’un programme économique négocié avec le Fonds monétaire international s’il remportait les élections le 7 février. https://www.hispantv.com/noticias/ecuador/486134/arauz-condiciones-fmi-elecciones