Cinq ans après l’assassinat de Berta Cáceres

Cinq ans se sont écoulés depuis l’assassinat de la leader et cofondatrice du Conseil civique des organisations indigènes populaires du Honduras (Copinh), qui représente plus de 200 communautés indigènes Lenca dans le pays. Le procès de David Castillo aura lieu en avril prochain pour déterminer sa paternité intellectuelle dans le meurtre de Berta Cáceres.

Il y a cinq ans, le Honduras a perdu Berta Cáceres, l’une de ses plus grandes dirigeantes sociale, politique et écologiste. Le 2 mars 2016, vers minuit, la co-fondatrice du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (Copinh) a été assassinée à son domicile dans la ville de La Esperanza, située à environ 100 kilomètres de la capitale. Depuis lors, le pays a été témoin de l’impunité systématique qui entoure les procédures judiciaires visant à condamner les auteurs — matériels et intellectuels — du meurtre de Berta Cáceres. Dans le monde, elle est déjà un symbole de lutte et pour lui rendre hommage, le Copinh a organisé un « tuitazo » ainsi qu’un récital virtuel auquel ont participé des artistes de sept pays.

« L’État a privilégié le droit des entreprises et des industries extractives. Même quand il s’est avéré évident que l’entreprise qui a fait main basse sur le fleuve Gualcarque est impliquée dans le meurtre de Berta », a déclaré Miriam Miranda de l’Organisation fraternelle noire du Honduras (Ofraneh) du peuple Garifuna dans une interview avec Página/12. Berta et les plus de 200 communautés organisées au sein du Copinh résistaient au pillage des ressources naturelles de leurs territoires. Le coup d’État de 2009 a été le scénario de rupture institutionnelle dont avaient besoin les groupes de pouvoir au Honduras. Au cours des trois dernières administrations du Parti national (Porfirio Lobo de 2010 à 2013 et Juan Orlando Hernández de 2014 à aujourd’hui), le gouvernement a accordé de nombreuses concessions pour des projets miniers et hydroélectriques, sans qu’aucune consultation libre, préalable et informée, n’ait jamais lieu, comme le prévoit la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le droit à la consultation des peuples autochtones.

Une des concessions a été accordée à la société Desarrollos Energéticos S.A. (DESA) et à son projet hydroélectrique « Agua Zarca » sur la rivière Gualcarque dans la communauté de Río Blanco. Alors que la Commission interaméricaine des droits de l’homme avait ordonné au gouvernement hondurien de prendre des mesures de protection pour Cáceres, l’administration de l’actuel président Juan O. Hernández a fait le contraire : Berta Cáceres a été accusée d’occupation de terres et d’avoir causé des pertes à la compagnie hydroélectrique DESA en 2013. L’affaire a finalement été classée en 2014. Alors qu’elle était persécutée au Honduras, le nom de Berta était de plus en plus connu au niveau international. En 2015, elle a accepté le prix Goldman – connu sous le nom de prix Nobel de l’environnement – qui lui a été décerné en reconnaissance de son combat et de celui du peuple indigène Lenca.

Le procès pour l’assassinat de Cáceres a également révélé un système d’impunité qui a provoqué de nombreux reports et des accusations d’irrégularités de la part des membres de la famille de Cáceres. C’est dans ce contexte qu’a été créée la Mission d’Observation Qualifiée sur le procès pour le meurtre de Berta Cáceres. La Mission a suivi le premier procès qui a abouti le 30 novembre 2018 à la condamnation de sept des auteurs du meurtre. La Mission est également chargée d’observer le procès de David Castillo, ancien directeur de la DESA. Il est le seul auteur intellectuel jugé dans l’affaire Berta. Il y a quelques jours, et après 11 suspensions, il a été confirmé que le procès de Castillo pour la paternité intellectuelle du meurtre de Cáceres aura lieu du 6 au 30 avril de cette année. À propos de ce procès, Carmen López Flores, une des avocates de l’équipe juridique pour les droits de l’homme qui fait partie de la mission d’observation qualifiée s’est exprimée. « L’impunité dans ce procès est démontrée, d’une part, par l’incapacité des tribunaux à reconnaître le contexte général : l’arrière plan, les réseaux de corruption entourant le meurtre de Berta Cáceres, qui constituent le véritable motif. Et d’autre part, le laxisme dont font parfois preuve les opérateurs de la justice à l’égard des groupes de pouvoir qui cherchent à entraver la justice par des tactiques dilatoires ».

« Le meurtre de Berta Cáceres a révélé le visage de cette narco-dictature. Elle faisait l’objet de mesures de sécurité, elle était sous un régime de protection et elle a été assassinée. Nous nous demandons ce qu’ils peuvent faire avec des personnes ‘invisibles’, qui ne sont pas connues au niveau international comme l’était Berta Cáceres. Son assassinat révèle non seulement l’implication de l’État, mais aussi la grande vulnérabilité des personnes qui se battent pour la nature et l’environnement dans ce pays », a déclaré Miriam Miranda. Actuellement, Ofraneh a formé le Comité Garífuna pour l’enquête et la recherche des disparus de Triunfo de La Cruz (SUNLA, qui signifie « assez, c’est assez » en langue garífuna). Le comité SUNLA est la réponse du peuple Garifuna à plus de sept mois de silence de l’État hondurien concernant la disparition de quatre jeunes et du président du conseil d’administration de Triunfo de La Cruz, une communauté située sur la côte nord du Honduras. « Cette affaire montre le modus operandi du groupe criminel qui dirige le pays. Bien que la participation de la Direction des enquêtes de la police (DPI) dans l’enlèvement des jeunes ait été dénoncée et prouvée, l’État ne se prononce pas sur le fait que les jeunes ont été enlevés par des personnes liées à l’armée et à la police hondurienne ».

« C’est aussi un pays qui a investi énormément d’argent pour renforcer la sécurité de l’État en multipliant les sociétés de sécurité privées et le militarisme », a déclaré Miranda à propos de la réalité du Honduras. « Aujourd’hui plus que jamais, Il est clair que nous sommes non seulement sans défense, mais que l’État a promu une politique de vidage des territoires afin de les « confier » au crime organisé. Les caravanes de migrants en sont la preuve. Ils veulent tous quitter ce pays.

Dominique Galeano

Source : Pagina/12

Traduction : Venesol