Pendant les onze mois de la récente dictature en Bolivie, le processus d’industrialisation des ressources naturelles, fondamentalement lié au lithium, qui comprend des investissements et de nouveaux développements publics-privés avec le contrôle de l’État, s’est pratiquement arrêté.

Entre novembre 2019 et octobre 2020, la production de chlorure de potassium (agro-fertilisant), de carbonate de lithium et d’autres dérivés a été paralysée ; les revenus financiers se sont effondrés et les accords d’exportation ont diminué.
Ces données expliquent en partie le coup d’État contre Evo Morales. L’objectif de la dictature d’Áñez était de revenir à l’activité primaire : exporter des hydrocarbures et d’autres ressources naturelles, en abandonnant les processus d’industrialisation. Pour ce faire, il fallait briser la matrice établie par le décret 28701 de mai 2006, qui établit que l’État récupère la propriété, la possession et le contrôle total et absolu des ressources.
Le processus de redressement économique, social et productif de la Bolivie et la croissance constante du PIB pendant toutes les années du gouvernement Morales ne peuvent être compris sans cette matrice productive promue par ce décret. L’industrialisation, liée à la nationalisation a permis de valoriser les ressources naturelles telles que le gaz, le pétrole, le lithium et autres minéraux.
Le processus d’industrialisation en Bolivie a été lancé à partir de la nationalisation des hydrocarbures. La valeur ajoutée à l’extraction des hydrocarbures et des minéraux a pour objectif d’atteindre son plein développement d’ici 2025, année du bicentenaire de l’indépendance de la Bolivie.
Étapes et objectifs
Trois étapes se sont succédées au cours de ces quinze années. La première a été la mise en œuvre du modèle avec la nationalisation, la réorganisation de Yacimientos Petrolíferos Fiscales de Bolivia (YPFB) ; après les études de faisabilité on verra la construction des premières installations industrielles dans le nouveau cadre juridique. On peut également relever la création, en 2017, de Yacimientos de Litio Bolivianos (YLB).
La deuxième étape a commencé de manière plus concrète vers 2012, avec le démarrage d’installations pilotes ou industrielles. Mi-2013, l’usine de séparation des liquides de Río Grande a été inaugurée à Santa Cruz, dans le but de séparer les combustibles liquides du gaz naturel et de les convertir en produits tels que le gaz liquéfié pour l’exportation et la consommation intérieure. Deux ans plus tard, l’usine Carlos Villegas est inaugurée à Yacuiba, six fois plus grande que la précédente ; l’un des trois plus grands séparateurs d’hydrocarbures d’Amérique latine et, jusqu’alors, l’ouvrage d’ingénierie le plus important de l’histoire du pays.
Les retombées économiques de la nouvelle usine de Yacuiba devraient augmenter progressivement jusqu’à atteindre, selon les prévisions, 2,2 milliards de dollars en 2025. Un fait au delà de la symbolique : l’entreprise de construction du complexe était originaire d’Espagne, le pays qui, en 2006, avait menacé de quitter la Bolivie à cause de la nationalisation. Aucun gouvernement n’a quitté le pays. Au contraire, de nouveaux acteurs comme l’Allemagne, la France, l’Autriche, la Russie, la Chine et l’Iran se sont joints à eux.
Ont également été inaugurées ces années-là l’usine de liquéfaction de gaz naturel liquéfié (GNL) et, en 2016, une usine d’ammoniac et d’urée à Cochabamba pour la production d’engrais destinés à répondre aux demandes de l’agriculture nationale et étrangère. La phase de post-nationalisation devrait également comprendre deux complexes de production de matières plastiques : l’un d’éthylène-polyéthylène et un autre de propylène-polypropylène, tous deux destinés à la production de 800 000 tonnes de matières plastiques par an. Les matières premières (éthane et propane) proviendraient de l’usine « Carlos Villegas ».
La troisième étape concerne les dividendes du plan industriel des hydrocarbures, dans lequel l’État voit les fruits économiques de sa politique souveraine. Cette troisième étape naissante coexiste naturellement avec la deuxième, compte tenu du fait que la construction de nouvelles usines de traitement du gaz et du pétrole et la production de produits à base de lithium progressent.
Les revenus pétroliers, qui ne dépassaient pas 300 millions de dollars en 2005, ont dépassé 5 milliards de dollars huit ans après la nationalisation. Lors du 15e anniversaire de ce décret, l’entreprise publique YPFB a obtenu 41 milliards de dollars de revenus pétroliers. Pour la seule année 2021, le bénéfice atteindra 1,9 milliard de dollars et les revenus de l’entreprise publique YPFB augmenteront de 35 % par rapport à 2020, année de la dictature.
Selon YPFB, les revenus pétroliers proviennent de l’impôt direct sur les hydrocarbures (IDH), des redevances, des brevets et des taxes et autres contributions de la compagnie pétrolière d’État. Cet argent retourne à la communauté par le biais d’accords avec les départements et les municipalités, permettant le financement de routes et autres infrastructures, de centres de santé, d’écoles, universités et dans des projets productifs.
Développement industriel du lithium
Comme cela s’est produit pour les hydrocarbures, l’exploitation des salines d’Uyuni pour l’extraction du lithium a donné lieu à des contrats de vente à perte dans les dernières décennies du siècle dernier, ce qui a suscité des protestations de la part des communautés de différentes régions du pays.

La chute du gouvernement de Gonzalo Sánchez de Losada après la rébellion populaire de 2003 a ouvert la porte à des changements dans les politiques qui, jusqu’alors, favorisaient l’extraction et l’exportation de ressources par des multinationales qui ne laissaient que des miettes à distribuer à la population.
Deux ans après son accession à la présidence, et alors que la nationalisation était en cours, Evo Morales a reçu une proposition de la part de membres du Congrès et d’organisations sociales de Potosí visant à industrialiser les ressources des salines. Le gouvernement a suivi cette proposition et a mis en œuvre la « Stratégie nationale pour l’industrialisation des ressources évaporatives du Salar de Uyuni » puis a créé la structure institutionnelle qui serait responsable de la mise en œuvre du plan lithium.
Le Salar de Uyuni est l’une des principales réserves mondiales de lithium. Le plan — avec un investissement de près d’un milliard de dollars — prévoyait, dès le départ, la construction de l’usine industrielle de carbonate de lithium, qui sera achevée en 2022 et atteindra une production de 15 000 tonnes par an, ce qui permettra de couvrir la demande intérieure et les exportations.
Actuellement, des usines pilotes et industrielles de traitement du lithium, inaugurées en 2013, fonctionnent dans les salines d’Uyuni, où sont produits du chlorure de potassium (agro-fertilisants), du carbonate de lithium, des sels et des batteries. Cela a permis, en 2014, de démarrer l’usine pilote de batteries lithium-ion à La Palca, Potosí, installée par une entreprise chinoise. En 2017, l’usine pilote de matériaux cathodiques y a été inaugurée, mise en œuvre par la société française Greentech. Cela a permis de boucler la chaîne de production du lithium : extraction de la matière première (saumure), traitement et obtention du carbonate de lithium ; valeur ajoutée dans l’obtention des cathodes de lithium et l’assemblage des batteries.
En 2018, l’usine industrielle de sels de potassium a été inaugurée dans le Salar de Uyuni. En avril dernier, le gouvernement de Luis Arce a lancé un appel international pour l’extraction directe du lithium avec une technologie plus moderne permettant d’accélérer les délais de développement. L’objectif étant d’industrialiser quelque 400 kilomètres du plateau salé de 10 000 kilomètres carrés.
Au fil des années et des progrès technologiques, le lithium trouve de nouvelles applications, outre les batteries bien connues des téléphones portables et des ordinateurs personnels : batteries de voitures électriques, production de verre et de céramique, traitements médicaux, équipements de climatisation et lubrifiants.
Un rapport de l’U.S. Geological Survey, publié en janvier de cette année, indique que la Bolivie reste à la première place mondiale en termes de réserves de lithium, avec 21 millions de tonnes. Il est suivi par l’Argentine (17 millions de tonnes), le Chili (9 millions de tonnes), les Etats-Unis (6,8 millions de tonnes), l’Australie (6,3 millions de tonnes). La Bolivie doit encore quantifier les réserves des salines de Coipasa et Pastos Grandes, parmi plus de 25 salines et lagunes qui contiennent du lithium.
Le président Arce a repris les plans que la dictature avait démantelés et assure que le lithium est l’une des ressources naturelles les plus importantes pour « reconstruire l’économie bolivienne et jeter les bases d’une croissance soutenue ».
Adrián Fernández
Source : America XXI Traduction : Venesol