Il n’est pas rare de trouver dans les cercles enseignants des États-Unis une profonde incompréhension de ce qu’est la Bolivie. On voit le mépris et le paternalisme de ces intellectuels de droite qui se sentent partie prenante du centre de gravité de la civilisation et parlent de la Bolivie comme du pays de la périphérie le plus imparfait et éloigné. Il y a, par exemple, ceux qui se moquent de l’indigénisme bolivien et de l’importance qu’a eu la Bolivie aux Nations Unies dans la défense de l’eau et de la Terre Mère. De leur point de vue d’exceptionnelle supériorité qualitative, peut-être leur semble-t-il ridicule qu’un pays comme la Bolivie : petit, pauvre, avec des industries extractivistes et sans une bonne gestion des ordures puisse être à la tête de l’environnementalisme.

La vérité, c’est que la Bolivie a soutenu dès 2009 aux Nations Unies des initiatives destinées à faire entrer dans les Droits humains l’accès à l’eau et destinées à établir les droits de la Terre Mère. Cela a été une conséquence directe de l’arrivée au pouvoir en 2006 de l’indigène bolivien non seulement pour gouverner mais aussi pour penser et comprendre son pays et son environnement, pour la première fois, du point de vue de sa culture ancestrale. Tout cela a provoqué une vague de revalorisation des cultures d’origine qui a débouché sur un nouveau schéma de compréhension de la vie et sur une nouvelle façon de faire de la politique. C’est ainsi que les propositions boliviennes non seulement ont été compatibles avec des projets déjà existants à l’ONU mais ont donné un visage humain aux idées abstraites. Voyons, par exemple, ce qui fait que l’expérience bolivienne a été un bon symbole de la défense de l’eau pour le monde entier.
Pour commencer à comprendre cette incompréhension, il faut partir du fait qu’aux Etats-Unis, l’eau est un grand négoce puisque les gens se sont habitués à l’acheter en bouteilles ou en bidons à des prix élevés. Ces mêmes corporations vont aussi dans des pays beaucoup plus pauvres et grâce à des contrats frauduleux avec des Gouvernements corrompus, s’approprient les réserves naturelles d’eau, la privatisent et en font un luxe inaccessible au peuple.
C’est exactement ce qui s’est passé en Bolivie en l’an 2000. L’eau a été remise à la transnationale Bechtel, de San Francisco, California. Les prix ont triplé et en sont arrivés à absorber un tiers du budget des familles mais la voracité de la transnationale a montré une nouvelle fois ses limites. Le contrat léonin donnait à Bechtel la propriété de toutes les sources éventuelles d’eau y compris les barrages, les lacs et même l’eau de pluie. Si la facture n’était pas payée, l’entreprise avait le droit de saisir l’immeuble du client et de le vendre aux enchères. Au mois de février 2000, la population de Cochabamba est sortie dans la rue pour défendre son droit de propriété sur l’eau et demander l’expulsion de Bechtel. Le Gouvernement pro-Etats-Unis du général Hugo Banzer Suarez a réprimé la protestation et déclaré l’état de siège mais le peuple bolivien est resté ferme et après que ce qu’on a appelé « la guerre de l’eau » ait fait 1 mort et 170 blessés, l’entreprise transnationale Bechtel a été expulsée de Bolivie.
Evo Morales arrive au pouvoir en 2006, refonde le pays pour engager son processus de changement et dans la nouvelle Constitution Politique de l’Etat Plurinational, il inclut le droit à l’eau dans les droits fondamentaux du citoyen et inclut l’eau dans les ressources naturelles de propriété et de contrôle directs, indivisibles et inaliénables du peuple bolivien. Ce même article (349) donne à l’Etat la responsabilité de sa gestion en fonction de l’intérêt collectif.
Aux Etats-Unis, cela est considéré comme une hérésie mais pas parce que la Bolivie se trompe, parce que ces 2 pays semblent appartenir à 2 univers différents. Ou au moins à 2 cosmos-visions différentes, ce qui nous amène à un autre patrimoine universel que la Bolivie se propose de sauver et que l’USESCO a déjà inclus parmi les nouveaux cadres éthiques et politiques d’Amérique Latine avec la diversité culturelle et l’identité pour construire des sociétés plus justes : la philosophie du Bien-vivre qui s’oppose au Vivre Mieux appliqué aux Etats-Unis et en général dans tout l’hémisphère occidental. L’une de leurs différences de base est que le Vivre Mieux ne connaît aucune limite dans sa voracité d’accumulation insoutenable et prédatrice. Le Bien-vivre, au contraire, est une philosophie de la vie qui comprend le concept de développement soutenable et par conséquent, a une limite dans l’accumulation de richesses.
Vivre Bien ou le Bien Vivre, c’est la vie dans sa plénitude, c’est savoir vivre en harmonie et en équilibre, en harmonie avec les cycles de la Terre Mère, du cosmos, de la vie et de l’histoire et en équilibre avec toute forme d’existence. Et c’est justement le chemin et l’horizon de la communauté : cela implique tout d’abord de savoir vivre et ensuite coexister. On ne peut pas vivre bien si les autres vivent mal ou si Mère Nature subit des dommages. Vivre Bien signifie comprendre que la détérioration d’une espèce est la détérioration de l’ensemble.
Comme on peut le voir, cette cosmovision ancestrale coïncide, dans beaucoup de ses aspects, avec le concept de développement soutenable qui existe déjà aux Nations Unies mais, encore une fois, la Bolivie donne un visage humain à l’idée abstraite. Elle lui ajoute une dimension philosophique, un sens social et culturel et montre que c’est une forme de vie viable. Dans la sphère politique, cela signifie que l’indigène bolivien, par sa vision du monde, est arrivé à être un bon symbole, pour le monde entier, de la revendication des cultures originaires, des pauvres, des secteurs réprimés et mis à l’écart et, évidemment, de la défense de la Terre Mère.
Peut-être ceux qui méprisent la Bolivie, aux Etats-Unis ignorent-ils ce que signifie être une culture millénaire. Par exemple, que quand les Anglais blancs ont commencé à coloniser ce qui est à présent les Etats-Unis et à imposer un modèle de production prédateur et insoutenable qui comprend l’extermination des Indigènes, l’appropriation de territoires et l’esclavage pour accumuler des richesses personnelles, les Indigènes dans la région des Andes avaient déjà cultivé la terre pendant des milliers d’années avec un modèle de production communautaire et soutenable.
Pour développer l’agriculture et l’élevage dans des conditions climatiques aussi difficiles que celles de l’Altiplano, ils ont dû d’abord observer l’univers. L’alignement des planètes et ses effets sur le comportement de la terre et le climat. Ils ont développé une conception circulaire du temps. Ils ont créé des instruments de mesure du temps comme les cadrans solaires. Ils ont dû interpréter et dessiner des plans de vie, des champs énergétiques et le cycle du soleil qui comprend des solstices et des équinoxes. Ils sont arrivés à établir un calendrier agricole exact et efficace pour des milliers d’espèvces différentes sur le même terrain caillouteux. C’est ainsi qu’ils ont réussi à multiplier les espèces, par exemple, la patate, chacune adaptée pour résister au climat à un moment donné en profitant ainsi de leur unique avantage de temps possible pour elle. En d’autres termes, ils ont réussi à vaincre l’adversité climatique pour vivre en harmonie avec la nature. Ce mode de vie était tellement enraciné dans la Terre Mère, le soleil et la forte valeur de l’eau qu’ils ont appris à les respecter. C’estpourquoi, entre autres choses, l’Etat Plurinational de Bolivie qui à présent a sauvé des valeurs ancestrales, est un bon symbole de beaucoup de causes environnementales mais de plus, civilisatrices.
Juan Carlos Zambrana Marchetti
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source : Resumen latino americano