Manipulation politique et marchandisation : le drame de la migration vénézuélienne

La surexposition du Venezuela sur la scène médiatique internationale se poursuit avec une intention nouvelle de présenter le pays comme un État failli vivant une « crise humanitaire » aux graves conséquences pour la stabilité de la région sud-américaine et, au-delà, au niveau mondial. En particulier, la migration des Vénézuéliens a été à l’ordre du jour mondial, non sans controverse si l’on prend l’affaire avec un peu de recul.

Le contexte dans lequel la migration a commencé à attirer l’attention des organisations et des médias occidentaux est de nature à criminaliser la République bolivarienne, compte tenu de la détérioration du tissu économique, financier et commercial du pays suite à la multiplication des mesures unilatérales coercitives émises par la Maison Blanche et le Congrès américain depuis la dernière administration de Barack Obama.

Sans aucun doute, ce scénario, ainsi que l’instabilité politique et institutionnelle dont a souffert la société en raison de l’attitude hors-la-loi de l’Assemblée nationale contrôlée entièrement par les plus représentatifs des dirigeants anti-Chávez, qui vivent aujourd’hui des parrainages destinés aux plans de « changement de régime » que l’administration Biden maintient sur le gouvernement bolivarien, ont été décisifs pour qu’une partie de la population émigre vers d’autres pays.

Mais la manipulation politisée du phénomène migratoire est évidente si l’on prend en compte non seulement les facteurs sous-jacents qui causent la migration vénézuélienne, mais aussi les facteurs formels qui sont réduits au point de vicier le discours autour de la question et de la faire passer pour une « diaspora ».

Même l’antichavisme a trouvé dans la qualification de « réfugiés » un modèle pour alimenter le « dossier Venezuela ». Tel est le but de certaines ONG comme Foro Penal, qui a profité de ses relations privilégiées avec les Etats-Unis et ses opérateurs pour tenter de convaincre les représentants gouvernementaux de différents pays d’Amérique du Sud, d’Amérique du Nord et d’Europe de politiser la question de la migration vénézuélienne en fonction de leurs intérêts.

Du fait de l’évidente politisation du traitement de la question, les espoirs d’améliorer la situation de certains migrants vénézuéliens de la région disposant de capacités financières ont été réduits. L’organisation Sures a publié des rapports mettant l’accent sur les variables politiques et mercantiles qui s’entrecroisent dans la campagne migratoire anti-vénézuélienne, expliquant que « la préoccupation pour les drames humains, qui n’ont pas été rares ou négligeables, a dégénéré en un usage et un abus de leur visibilité plutôt qu’en des actions effectives de soutien aux migrants ».

Autor: Cindy Catoni. Foto: Caminantes Venezolanos en la vía Cúcuta-Pamplona [Flickr]

En effet, depuis — surtout — l’année 2017, différents chiffres ont été publiés par rapport au nombre de personnes qui ont quitté le pays, pour différentes raisons, ce qui a donné lieu à une manipulation à des fins de propagande de la part de l’antichavisme. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le ministère colombien des affaires étrangères, des politiciens de l’opposition vénézuélienne et d’autres entités ont avancé des chiffres qui ne coïncident pas, loin s’en faut. Nombre de leurs porte-parole ont proclamé que la principale cause de la migration est politique plutôt qu’économique, voire idéologique.

Sures passe brièvement en revue un rapport de l’OIM sur les flux migratoires entre la Colombie et le Venezuela en 2017, concluant que « durant l’année critique de l’émigration vénézuélienne [2017], les trois quarts des personnes qui ont durant cette période traversé la frontière du Venezuela vers la Colombie étaient de nationalité colombienne, et à l’époque, rien n’a été détecté dans les motivations du passage de la frontière faisant allusion à des restrictions ou des persécutions politiques », ce qui est tout à fait le contraire à ce qui était colporté ces mois-là par Julio Borges, cherchant à promouvoir le blocus financier et l’embargo pétrolier contre l’ensemble du pays.

Le degré de distorsions et de manipulations de l’ensemble du dossier a eu « deux effets indésirables de l’action internationale sur la question des migrants et des réfugiés : la mobilisation politique à la recherche d’actions pour ignorer les autorités vénézuéliennes légitimes, et la captation et le détournement de fonds destinés à soutenir les migrants », indique le premier volet du rapport de Sures, Utilisation politique et marchandisation de la migration vénézuélienne [1].

Un tel flou autour des chiffres n’a pas permis d’élaborer une stratégie fiable susceptible d’atténuer la détresse des Vénézuéliens en dehors de leur pays. Dans le deuxième volet de Utilisation politique et marchandisation…[2], Sures analyse le rapport de mai dernier réalisé par la Plateforme de Coordination pour les Réfugiés et les Migrants du Venezuela (R4V) qui affirme qu’il y a plus de 5 millions de réfugiés et de migrants vénézuéliens.

Sures démonte l’alarmisme des chiffres, en tenant compte des données fournies par le même R4V sur les Vénézuéliens ayant un statut de résident légal, les demandeurs d’asile et ceux reconnus comme réfugiés dans chaque pays de destination, en précisant et en calculant les chiffres avec plus de rigueur en fonction des situations migratoires. Nous vous en recommandons de la lecture pour une analyse plus approfondie, car il dépasse les limites thématiques de cet article.

Où est l’argent ?

Il n’est pas seulement grave de voir comment le phénomène en question a été instrumentalisé autour des chiffres respectifs, mais aussi le fait que beaucoup d’argent a coulé pour faire face à la « crise des réfugiés » vénézuéliens dans les pays de la région, en particulier la Colombie, voisine du Venezuela.
Bien qu’il soit difficile de « quantifier les montants reçus par les gouvernements, les ONG et les acteurs politiques pour cette ‘cause’ », dit Sures, en raison de l’absence de surveillance ou de contrôle, on peut s’appuyer sur les montants versés par les États-Unis et d’autres entités internationales en faveur de la Colombie qui ont été rapportés par les médias, recensés par l’organisation vénézuélienne.

– Dans un rapport de février 2020, le département d’État sous l’administration Trump a diffusé le montant de ses contributions apportées depuis 2016 à « l’aide humanitaire aux Vénézuéliens » : plus de 656 millions de dollars.

– Avant de céder le bureau ovale, en janvier dernier, l’administration Trump a annoncé que le montant apporté par les États-Unis « en aide aux Vénézuéliens vulnérables » était de 1,2 milliard de dollars.

– Nous citons Sures : «  Le 30 mars 2020, le portail Uniminuto Radio a fait le décompte des ressources effectivement reçues, uniquement par la Colombie : le chiffre s’élève à 950 millions de dollars depuis 2017, « sans compter que le HCR, l’Église catholique et d’autres Organisations non gouvernementales contribuent également au bien-être des migrants ». Parmi les contributions les plus remarquables du rapport, citons un don de 89 000 dollars du gouvernement américain à l’hôpital Erasmo Meoz de Cúcuta ; 31,5 millions de dollars de la Banque mondiale (juillet 2019) ; 120 millions de dollars du gouvernement américain au gouvernement colombien, remis par le conseiller et la fille du président de l’époque, Donald Trump, « pour assister la population migrante du Venezuela ».

– L’Union européenne, en septembre 2019, a donné 30 millions d’euros à la Colombie et, un mois plus tard, l’Espagne a donné 50 millions d’euros.

Le gouvernement canadien a convoqué la « Conférence internationale des donateurs solidaires avec les réfugiés et les migrants vénézuéliens » en collaboration avec le HCR et l’OIM dans l’intention, comme l’indique Sures, « d’augmenter le montant destiné, au moins dans les déclarations et les lettres d’intention, aux Vénézuéliens en cours de migration hors du Venezuela ». Lors de cet événement, les investisseurs se seraient engagés à verser plus de 1,5 milliard de dollars en subventions et en prêts.

Le gouvernement bolivarien a qualifié l’événement de « farce médiatique » et d’ « opération de propagande politique » conçue par les États-Unis, et a dénoncé le fait que les participants ont manipulé le terme de « réfugiés » comme tant de fois par le passé, en rendant invisible le blocus économique, financier et commercial de l’Occident comme facteur déterminant de l’augmentation de la migration vénézuélienne.

Sur le site web de la conférence internationale des donateurs[3] de cette année, on peut lire qu’un événement similaire organisé en mai 2020 par l’UE et le gouvernement espagnol « a donné lieu à des promesses de dons d’un montant de 2,79 milliards de dollars, dont 653 millions de dollars de subventions, une démonstration tangible de la solidarité de la communauté internationale pour répondre aux besoins urgents ». Ce financement, est-il précisé, a permis d’améliorer la vie de 3,18 millions de réfugiés et de migrants vénézuéliens vulnérables, dont des femmes et des filles, et de leurs communautés d’accueil :

  • 1,9 million de personnes ont reçu une aide alimentaire
  • 1,2 million de personnes ont reçu une assistance sanitaire
  • 907 000 personnes ont reçu une aide à la protection
  • 657 000 ont reçu une aide en espèces ».

Tout en assurant que les dons servent à « mobiliser des ressources supplémentaires indispensables », Sures affirme que « la profusion et l’intensité des campagnes d’attaque et de contre-attaque ont mis en lumière des cas récents de corruption autour des questions de migration, liés, via la gestion politique, à l’agenda médiatique de l’ ‘aide humanitaire’ ».

« L’inefficacité des mécanismes de contrôle et de surveillance des ressources destinées à ces programmes, associée à l’imposition d’un système de hiérarchies dans lequel la destruction des gouvernements prime sur les véritables drames humains, assombrit les processus d’aide effective et tend à éroder l’image d’entités disposées à fournir des ressources et un soutien, mais qui, à un moment donné, perdent le contrôle de ces effets », conclut le rapport Utilisation politique et marchandisation de la migration vénézuélienne[4].

Dans le quatrième volet de Utilisation politique et marchandisation de la migration vénézuélienne[5], Sures explique les raisons pour lesquelles il est difficile de surveiller et de contrôler l’argent et compile les informations disponibles dans les médias :

« La principale difficulté pour le suivi et le contrôle de ces ressources est qu’il n’existe pas de législation internationale unique, ni de mécanismes permettant d’accéder aux détails des recettes et des débours pour l’aide, les contributions ou les dons spécifiques pour le secours des migrants ou des personnes en cours de déplacement. Il n’est pas non plus possible d’approcher systématiquement les communautés, groupes et individus dans le processus de migration, afin d’obtenir leurs témoignages sur le montant, la régularité ou la dimension de l’aide reçue. Le parcours ou la destination des fonds accordés à profusion aux « réfugiés et migrants du Venezuela et aux communautés d’accueil » est aussi instable et mobile que la population analysée.

« Diverses enquêtes journalistiques menées au cours des deux dernières années peuvent aider à avoir au moins une idée de l’historique des contributions, sur lesquelles il n’existe aucun contrôle, ni aucune méthode probable de quantification et de vérification de leur utilisation correcte selon les programmes :

  • Avril 2018 : HCR : la communauté internationale a fourni 46 millions de dollars d’aide, avec seulement 2,5 millions de dollars provenant des États-Unis.
  • Avril 2018 :  » Le représentant régional du HCR pour les États-Unis et les Caraïbes, Matthew Reynolds :  » La qualification de la crise est une condition nécessaire pour un plus grand décaissement des fonds et un accès aux ressources de la BM et de la BID « .
  • Décembre 2018 :  » HCR : les besoins de financement du plan de réponse régional pour les réfugiés et les migrants du Venezuela sont de 738 millions de dollars « .
  • Octobre 2019 : « Le ministre espagnol des Affaires étrangères Josep Borrell a annoncé que son pays fera don de 50 millions d’euros pour résoudre la migration vénézuélienne ».
  • Décembre 2019 : Don d’un million de dollars de la Banque mondiale.
  • De mars 2017 à mars 2020 :  » La Colombie a reçu environ 950 millions de dollars pour aider les Vénézuéliens « .
  • 4 février 2020 : « Les États-Unis ont affecté plus de 656 millions de dollars à l’aide humanitaire aux Vénézuéliens ».
  • Décembre 2020 : L’ONU demande 1,44 milliard de dollars d’ici 2021.
  • Janvier 2021 :  » Les États-Unis ont fourni 1,2 milliard de dollars d’aide humanitaire aux Vénézuéliens « . Les États-Unis ont versé 1,2 milliard de dollars d’aide au Venezuela ».

Bien que tous les titres de journaux soulignent le fait que des sommes considérables ont été données pour s’occuper de l’immigration vénézuélienne dans différents pays, il n’est pas possible d’effectuer une surveillance ou un contrôle de ces flux en raison du fait que dans beaucoup de ces nouvelles, dit Sures, « il y a un mélange d’annonces ou d’engagements verbaux, de déboursements réellement effectués, de rapports avec des objectifs honnêtement informatifs et d’autres qui n’ont évidemment que des objectifs médiatiques ».

La vérité est que, malgré les milliards de dollars versés aux gouvernements, à diverses institutions, aux ONG et aux banques, aucune amélioration n’a été constatée dans les conditions des migrants vénézuéliens dans la région. En effet, le gouvernement d’Ivan Duque demande constamment des aides financières et montre une situation qui ne semble pas s’améliorer, même si les flux migratoires vénézuéliens ont diminué, notamment avec la pandémie et la fermeture des frontières.

On ne peut que conclure que la question de la migration vénézuélienne, selon Sures, « a été et continuera d’être manipulée par la propagande à des fins politiques, voire conspirationnistes et déstabilisatrices ; elle a été et continuera d’être l’objet de distorsions et de déformations à des fins chrématistiques ; (et) elle échappe aux méthodes et canaux traditionnels de contrôle, de suivi et de maîtrise ».

Le drame de la population vénézuélienne à l’extérieur du pays n’a été qu’une excuse pour les objectifs américains de « changement de régime » et d’accumulation d’argent, car pour certains gouvernements, partis politiques, ONG et banques, comme la Banque interaméricaine de développement (BID), tous sympathisants de l’antichavisme international, ce phénomène est une « opportunité » capitaliste qui génère beaucoup de revenus et très peu de pertes.

Source : Mision Verdad Traduction : Venesol


[1] https://sures.org.ve/migracion/

[2] https://sures.org.ve/wp-content/uploads/2021/06/Uso-politico-y-mercantilizacion-de-la-migracion-venezolana-II-1.pdf

[3] https://www.international.gc.ca/campaign-campagne/international-donors-internationale-donateurs/index.aspx?lang=spa

[4] https://sures.org.ve/uso-politico-y-mercantilizacion-de-la-migracion-venezolana-iii/

[5] https://sures.org.ve/uso-politico-y-mercantilizacion-de-la-migracion-venezolana-iv/