Assassinats sélectifs, tortures sexuelles et disparitions. Un rapport rédigé par des représentants d’organisations sociales et de militants des droits humains de 13 pays met en garde contre la grave répression qui s’abat sur la Colombie et demande l’arrêt urgent de la vente d’armes européennes au gouvernement du président de droite Iván Duque.

à Bogotá, le 29 juin. – Nathalia Angarita / REUTERS
La répression sauvage contre les manifestants sur le sol colombien a déjà des témoins internationaux. Après avoir effectué une vérification sur place, 41 représentants d’organisations sociales et de défense des droits humains de 13 pays viennent de publier un rapport dans lequel ils alertent sur les graves violations perpétrées par le gouvernement d’Iván Duque. D’après leurs conclusions, la violence policière est combinée aux actions illégales des gangs paramilitaires. Le résultat se traduit en tortures, en morts et en disparitions.
« Nous devons garder les yeux sur la Colombie. Il y a une logique de répression comme s’il s’agissait d’une guerre, et les conséquences peuvent être terribles. Nous ne devons pas les laisser seuls », sont les premiers mots de Lorea Undagoitia, membre de l’organisation basque Mugarik Gabe, après avoir atterri à Bilbao de retour d’un séjour de neuf jours en Colombie, un pays qui a déjà connu plus de deux mois de répression contre les manifestations antigouvernementales.
Undagoitia faisait partie de la mission internationale SOS Colombie, qui comprenait également des représentants du Secrétariat international du syndicat Comisiones Obreras, ainsi que du Centre d’études pour la paix de Catalogne, de l’organisation américaine Amazons Frontlines, du Réseau national des femmes défenseurs des droits humains du Mexique et du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral du Vatican, entre autres.
Le rapport préliminaire dénonce l’horreur que subit la Colombie depuis que le gouvernement Duque a décidé de réprimer violemment les protestations. À cet égard, la mission a documenté environ 180 rapports directs d’« agression physique, persécution, harcèlement et violation des droits humains dans le contexte de la grève nationale » qui a mobilisé des milliers de personnes dans différentes parties du pays.
Pour situer le contexte, les organisations soulignent que les mobilisations « trouvent leur origine dans une crise socio-économique structurelle caractérisée par des taux de chômage élevés, une augmentation de la pauvreté et de l’extrême pauvreté. En outre, la précarité sociale s’est aggravée pendant la pandémie de Covid-19, période pendant laquelle le gouvernement n’a pas garanti la couverture des besoins fondamentaux des citoyens, tels que l’accès à la nourriture, à la santé, à un logement décent et à un revenu de base ».
En outre, « la violence contre les signataires de l’accord de paix et les défenseurs des droits humains en Colombie a considérablement augmenté depuis la signature de l’accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP) en 2016 ».
Le document fournit des données choquantes sur les crimes commis au cours des cinq dernières années. « Selon l’ONU, on compte plus de 400 meurtres de défenseurs des droits humains en Colombie entre janvier 2016 et décembre 2020, environ 120 meurtres en 2020 et au moins 71 meurtres à ce jour en 2021, dont 49 entre le 27 mars et le 25 juin 2021 », souligne le document.
Après avoir interrogé différentes organisations et entendu les témoignages de victimes de la répression, les participants à la mission internationale ont conclu que les principaux auteurs des violations actuelles sont essentiellement les forces de police — l’ESMAD, la redoutable brigade anti-émeute colombienne, jouant un rôle de premier plan — ainsi que les « groupes armés illégaux » et les « civils armés agissant en collusion avec les forces de sécurité ».
Au moment d’établir les « schémas de violations des droits humains » enregistrés depuis le 28 avril, le rapport parle d’« homicides sélectifs », de « blessures corporelles », de « torture, de traitements cruels, inhumains et dégradants », mais aussi de « blessures aux yeux » et d’« agressions par armes à feu ». Le rapport signale également des cas de « violences sexuelles et de torture », de « détentions arbitraires et illégales », de disparitions forcées et de « stigmatisations, signalements et persécutions ».
Au-delà des images habituelles des charges policières dans des villes comme Bogota et Medellín, la mission internationale met également en lumière le drame qui se joue dans différentes parties du pays aux mains des gangs paramilitaires. Dans des régions comme Valle del Cauca, Nariño, Antioquia, Santander et Eje Cafetero, entre autres, le phénomène du paramilitarisme urbain et rural et/ou des civils armés a été constaté. Certains de ces groupes attaquent les manifestants avec des armes à feu à longue et courte portée, peut-on lire.
Sur la base de « sources d’information fiables » obtenues sur le terrain, les représentants internationaux mettent en garde contre « la construction d’un plan criminel dont l’objectif est de générer la terreur et, dans la majorité des cas, l’assassinat de jeunes appartenant à des mouvements sociaux et populaires qui se rassemblent dans les différents points de résistance de la Grève nationale ».
De même, « il a été constaté que la grande majorité des victimes ont peur de dénoncer, car nous avons reçu des témoignages selon lesquels, une fois que des personnes ont signalé différents actes arbitraires, elles font l’objet d’accusations, de persécutions, de harcèlement et même dans certains cas de meurtres », indiquent les auteurs. « Face à ce panorama, poursuivent-ils, le droit d’accès à une véritable justice avec des garanties constitutionnelles établies est complètement affaibli ».
Dénonciation internationale
Quelques heures après son retour, Undagoitia indique que ce manque de garanties est l’une des raisons fondamentales de l’« objectif final » de la mission : « disposer d’un soutien et d’arguments suffisants pour entamer une procédure judiciaire contre le gouvernement colombien devant les instances internationales ». « Si nous devions le faire en Colombie, cela ne servirait qu’à mettre en danger les plaignants », a-t-elle fait remarquer.
La Cour interaméricaine des droits humains, qui, dans un récent rapport, a mis en garde contre « l’usage disproportionné de la force, la violence sexiste, la violence ethnique et raciale, la violence contre les journalistes et contre les missions médicales » en Colombie, figure sur la feuille de route de la mission internationale, qui prévoit également de porter ses plaintes devant les parlements et les gouvernements des différents pays. « Nous voulons obtenir des engagements », déclare la représentante de Mugarik Gabe.
Ventes d’armes
De même, il est demandé à l’Union européenne que cesse immédiatement la « vente d’armes militaires et de matériel anti-émeute » au gouvernement colombien. Selon les données officielles, l’Espagne fait partie des vendeurs d’armes aux forces armées colombiennes. Interpellé par un député, le gouvernement espagnol a refusé de préciser s’il allait poursuivre cette activité malgré les graves violations des droits humains enregistrées depuis fin avril.
Danilo Albin