Parajustice

L’uribisme poursuit ses efforts pour créer une histoire parallèle du pays, qui ignore les crimes commis par les fonctionnaires des gouvernements du président Álvaro Uribe Vélez. Et en même temps, il y a une justice sur mesure pour cela. Car il ne s’agit pas seulement de juger les crimes commis par ses fonctionnaires, mais aussi par l’ex-président, accusé lui-même.

Uribe et Montoya

Ainsi, le cas du général de l’armée à la retraite Mario Montoya Uribe, dont l’enquête menée par la Jurisdicción Especial para la Paz (Juridiction spéciale pour la paix) (JEP) avec rapidité et vigueur a entraîné le déplacement de son procès au Parquet. Affaire qui, jusque là, dormait tranquillement sur l’étagère de l’oubli.

La semaine dernière, la JEP, qui est chargée de juger les crimes les plus graves commis pendant le conflit armé, a inculpé 15 autres membres de l’armée pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. On compte 127 assassinats sur la côte caraïbe, dans le cadre du processus des « faux positifs », comme on appelle les assassinats de civils par du personnel en uniforme pour les présenter comme des guérilleros tués au combat.

Quelques jours après la décision de la JEP et face aux preuves et faits irréfutables, le procureur général, Francisco Barbosa, a été contraint d’annoncer qu’il allait inculper Montoya de 104 exécutions extrajudiciaires, en tant que commandant de l’armée colombienne durant les années où la plupart des faux positifs ont eu lieu.

Contexte.

En février 2006, l’ancien président Uribe a nommé commandant en chef des armées colombiennes le général Montoya Uribe, l’un des cerveaux de l’opération Orion à Medellín, qui a eu lieu entre le 16 et le 19 octobre 2002. L’opération Orion ne visait pas à sauver Medellín de la criminalité. Il s’agissait d’une série de crimes perpétrés dans le cadre de l’état d’urgence. Des militaires dirigés par Montoya patrouillaient et tuaient accompagnés de paramilitaires du Bloc Cacique Nutibara, avec la justification de combattre les guérillas.

Selon la Corporación Jurídica Libertad, il y a eu 80 civils blessés, 17 homicides commis par les forces de sécurité, 71 personnes tuées par les paramilitaires, 12 personnes torturées, 92 disparitions forcées et 370 détentions arbitraires.

Ceci pour ne citer que l’une des célèbres opérations de Montoya. Mais il y en a bien d’autres.

Le 2 mai 2002, une bombe explose à l’intérieur de l’église de Bojayá, dans le Chocó, où les habitants s’abritaient des terribles affrontements entre la guérilla et les AUC. L’événement a entraîné la mort de 119 personnes, dont deux après l’attaque, et le déplacement de près de 6 000 civils.

Il s’agit de l’une des attaques les plus sanglantes et les plus violentes de la guérilla des FARC et leurs actions seront toujours impardonnables et resteront dans les mémoires. Mais pas seulement la violence des guérilleros.

Lorsque Mario Montoya, alors commandant de la quatrième brigade de l’armée, est arrivé dans la région le lendemain du massacre et a vu le nombre de journalistes, il a envoyé un de ses officiers acheter des chaussures pour bébés.

Comme si cette scène dévastatrice n’était pas assez glaçante, Montoya, devant l’une des caméras, a sorti l’une des chaussures et s’est mis à pleurer. Pour l’anecdote, ces mêmes caméras l’ont ensuite filmé en train de donner des ordres à ses officiers, entouré de paramilitaires et en pleine coordination avec eux. (Voir la vidéo publiée en 2010).

Ce n’est pas la seule fois où Montoya a travaillé en coordination avec les paramilitaires. Ou qu’il a inventé des victimes supposées, ou pire encore, en créant de faux guérilleros qui n’étaient que de jeunes civils.

Le 7 février 2008, Darvey Mosquera et deux amis quittent la municipalité de Pradera, à Valle, pensant obtenir un emploi qui leur serait proposé par un soldat. En chemin, ils sont arrêtés par d’autres membres de l’armée qui leur ont tiré dessus.

Le corps de Darvey, le fils de Mme Alfamir Castillo Bermúdez, a été retrouvé plus tard dans une fosse commune, vêtu d’un uniforme de camouflage et de bottes. Il a été présenté comme un « guérillero tué au combat ». Les auteurs étaient des membres du 57e bataillon de l’armée.

Lors de l’une des audiences contre Montoya, Mme Alfamir Castillo a déclaré qu’elle avait reçu des menaces de mort pour qu’elle ne témoigne pas au procès.

Il en va de même pour un autre témoin important, Robinson González del Río. Colonel dans l’armée jusqu’en 2014, il a récemment reçu des menaces de mort. González del Río a été condamné en deuxième instance à 37 ans de prison pour sa participation au meurtre de deux jeunes hommes dans le village de Trocaderos, dans la municipalité de Neira, en septembre 2007, dans le cadre des faux positifs dirigés par Montoya Uribe.

C’est également le cas du paramilitaire Adolfo Guevara Cantillo, connu dans le monde du crime organisé sous le nom de 101, qui a reçu des menaces pour ses déclarations contre Montoya.

Ce qui n’est pas surprenant. Dans une interview avec le journaliste Gonzalo Guillén, alias 101 a déclaré que « le général Mario Montoya est le plus grand menteur qui puisse exister et je pense qu’il est la plus grande honte pour l’armée parce que, bien que nous, en tant qu’officiers, ayons réalisé beaucoup d’opérations, beaucoup d’actions, nous étions convaincus de défendre une juste cause, mais lui, il l’a fait pour l’argent, il était payé, il avait son salaire et il faisait tout pour l’argent, toutes ses activités au sein de l’organisation étaient pour l’argent et je peux dire cela parce que j’ai la chance d’avoir été officier militaire, mais aussi d’avoir plus tard rejoint les groupes d’autodéfense et de savoir parfaitement et de très près, ce qui se passait à l’intérieur ».

Malgré tout cela, l’ex-président Uribe et tout son dispositif parallèle de défense de la justice, ou para-justice, ont toujours défendu Montoya et établi qu’il est un héros, ni plus ni moins. Mais l’admiration est mutuelle. Le 7 août 2008, au plus fort des faux positifs, Montoya a décoré l’ancien président Uribe du bâton de commandement de l’état-major, « afin de le reconnaître comme un dirigeant qui a donné l’exemple et apporté ses connaissances aux forces armées ».

Quelques mois plus tard, le 4 novembre 2008, Uribe a fait l’éloge de Montoya après qu’il ait démissionné de son poste de commandant de l’armée, quand tout indiquait qu’il était à l’origine des faux positifs.

« Le général Mario Montoya est un être exceptionnel qui recherche l’efficacité opérationnelle sans perdre de vue la transparence. Certains pensent à tort que pour être efficace il faut violer la transparence, le général Mario Montoya a toujours compris que l’efficacité doit aller de pair avec la transparence. Quand d’autres pensent à tort que pour être transparent il faut renoncer à être efficace et simplement laisser passer des années dans les forces armées sans combattre les terroristes pour sauver un semblant de transparence, le général Mario Montoya n’est pas de ceux-là, le général Mario Montoya a été une combinaison équilibrée d’efficacité et de transparence ». (Voir la vidéo).

Sa combinaison d’efficacité et de transparence est si exceptionnelle et équilibrée que, lors d’une audition le 13 février 2020, le général Montoya a déclaré que les faux positifs se produisaient parce que les soldats sous son commandement, qui effectuaient leur service militaire, étaient issus des strates 1 et 2, et ne comprenaient donc pas ses ordres. « Ces garçons ne savaient même pas comment tenir des couverts ou comment aller aux toilettes, donc ils ne comprenaient pas la différence entre les résultats et les victimes, et c’est pourquoi ils ont commis ces actes ».

Quelle indolence, quelle impudence et, surtout, quel mensonge !

S’il fallait prouver la fausseté de ses propos, il suffit de se référer aux documents en possession du Parquet depuis plusieurs années. L’un d’eux est l’ordre du jour N. 073 du mercredi 5 avril 2006, signé par le commandant du bataillon du génie Pedro Nel Ospina à Bello, Antioquia. Il établit les tâches quotidiennes dans cette unité militaire et sert à comprendre la perception défaillante de Montoya entre le bien et le mal.

L’« ordre permanent », constitué des recommandations du général Mario Montoya, alors commandant de l’armée, contenait 28 « politiques » qui devaient être prises en compte non seulement à cet endroit, mais aussi dans les unités militaires de tout le pays.

Il s’agissait notamment de phrases telles que « les commandants sont évalués pour leurs résultats » et « les victimes ne sont pas la chose la plus importante, elles sont la seule chose » (sic), ce qui mettait une forte pression sur les troupes et entraînait une pratique systématique d’assassinat de civils pour les faire passer pour des « subversifs éliminés » afin d’obtenir des avantages personnels, notamment des promotions, des récompenses, des congés ou des voyages d’agrément.

La seule chose exceptionnelle de ce personnage est sa façon de se transformer machine à tuer des civils sans défense. C’est un tueur exceptionnel.

Yohir Akerman

Source : El Espectador     Traduction : Venesol