Avançant en terrain miné, le gouvernement nouvellement élu a réussi à obtenir la confiance du Parlement. Un mois à peine après son entrée en fonction, après un scrutin serré et une longue période avant d’être reconnu par l’opposition, le gouvernement de Pedro Castillo a affronté son premier test en tant que parti au pouvoir.

Le Pérou est un beau cas d’étude pour le constitutionnalisme international, présentant un système hérité du dispositif institutionnel de la Constitution fujimoriste de 1993, qui évolue dans une complexe zone grise entre présidentialisme et parlementarisme.
C’est dans cet amalgame complexe de pouvoirs que s’insère la « question de confiance », un mécanisme par lequel le président doit soumettre son gouvernement au Congrès pour approbation. Cette validation par le Parlement requiert une majorité simple, c’est-à-dire la moitié plus un, et que les votes favorables soient plus nombreux que les votes défavorables et les abstentions. Ainsi, si la confiance est accordée, le président confirme le gouvernement proposé, mais s’il rencontre un rejet majoritaire, le ministre doit être démis de ses fonctions et doit démissionner. Cependant, les dispositions sont encore plus complexes car si le Congrès refuse la confiance au gouvernement lors de deux sessions consécutives, l’exécutif a le pouvoir de dissoudre le Parlement et de convoquer de nouvelles élections.
Cette lutte pour le pouvoir n’est pas nouvelle : elle a déjà eu son précédent dans les administrations de Pedro Pablo Kuczynski et Martín Vizcarra, qui a finalement abouti à l’élection d’un Parlement extraordinaire en 2020 pour légiférer pendant un an. Mais aujourd’hui, avec Pedro Castillo à la présidence et une opposition de plus en plus hostile et radicalisée, la confiance dans le gouvernement est fondamentale pour analyser la confrontation entre les différents pouvoir de l’État et dessiner l’avenir du Pérou.
Ce 27 août, après une session de plus de 24 heures, c’est avec 73 voix pour et 50 contre que Pedro Castillo a obtenu la confiance du Congrès péruvien pour son gouvernement et son Premier ministre.
Mais la bataille pour le gouvernement a commencé bien plus tôt, avec la nomination d’Héctor Béjar au poste de Ministre des Affaires étrangères. Docteur en sociologie, avocat, écrivain, plasticien et professeur d’université, Béjar est une figure historique de la gauche péruvienne. Formé politiquement à Cuba, où il a rencontré Fidel Castro et Ernesto Guevara, il a été arrêté pour ses activités politiques dans le mouvement de guérilla et amnistié en 1970 par le gouvernement du général Juan Velasco Alvarado. Une fois libre, il a rejoint le projet de réforme agraire promu par l’administration Velasco, en coordonnant le Système national d’appui à la mobilisation sociale (SINAMOS), l’un des outils de mobilisation populaire qui a servi à défendre les acquis sociaux à cette époque.
Le mandat de Béjar en tant que ministre des affaires étrangères n’a guère duré plus de deux semaines : il a été démis de ses fonctions après avoir déclaré que la Marine avait été à l’origine du terrorisme au Pérou et que certains de ses officiers avaient été formés par la CIA. La pression des législateurs de l’opposition et la dénonciation publique par les Forces armées ont conduit à la démission de Béjar et ont ouvert une nouvelle brèche au sein de la coalition gouvernementale. Le choix pour le ministère des affaires étrangères s’est porté sur Oscar Maúrtua, diplomate de carrière et ancien ministre des affaires étrangères modéré.
La nomination de Maúrtua exprime certaines des contradictions au sein du gouvernement, notamment entre le chef du parti Peru Libre et ancien gouverneur de Junín, Vladimir Cerrón, et le président Pedro Castillo. Maúrtua a un profil plus modéré et partage avec Castillo sa proximité avec le gouvernement d’Alejandro Toledo, dans lequel Maúrtua a été Ministre des Affaires étrangères et dont le parti, Perú Posible, a présenté la candidature de Castillo pour la première fois.
« Le nouveau ministre des affaires étrangères, Oscar Maúrtua De Romaña, ne représente pas les convictions de Perú Libre. Notre parti est une entité intégratrice et souveraine, engagée en faveur d’une Amérique latine unie et indépendante, rejetant toute politique servile ou d’ingérence », a réagi Cerrón sur son compte Twitter après la nomination du nouveau ministre.
La tension entre Cerrón et le président s’est accrue lors du vote de confiance. Dans un premier temps, Castillo a menacé de procéder à des changements de gouvernement avant le vote, essayant d’éviter la confrontation avec le Parlement et de présenter une équipe plus orientée vers le dialogue. En fin de compte, c’est le point de vue de Cerrón qui a prévalu, qui considérait qu’il était important de maintenir ses ministres et, en tout cas, de renforcer l’image obstructionniste du pouvoir législatif. Le dernier sondage de l’Institut d’études péruviennes (IEP), réalisé entre le lundi 16 et le jeudi 19 août, indique que 56% des personnes interrogées considèrent que le pouvoir législatif doit soutenir les ministres proposés au vote de confiance.
Le vote illustre également la construction d’alliances parlementaires que Perú Libre a pu construire jusqu’à présent. Les 37 sièges de Perú Libre et les cinq sièges de Juntos por el Perú ont été rejoints par le centre-droit Somos Perú, le centre-gauche Acción Popular et certains membres de Podemos Perú. Ainsi, le gouvernement a obtenu 73 voix, ce qui est suffisant pour entériner le gouvernement. De l’autre côté, Avanza País, Renovación Nacional et le fujimorisme ont clairement indiqué dès le départ qu’ils ne soutiendraient pas l’équipe proposée par Castillo. Ceux qui ont voté contre la proposition ont été rejoints par le parti libéral Partido Morado, qui a déclaré qu’il ne soutenait pas la proposition car elle ne faisait pas référence aux droits de la population LGTBI+. Ensemble, ils ont totalisé 50 voix.
La reconnaissance du gouvernement donne un relatif espoir en ce qui concerne le lien entre l’exécutif et le législatif, surtout si l’on considère l’application d’une autre motion qui rend le scénario péruvien encore plus complexe : la vacance. Ce recours peut intervenir en cas de décès du président, d’incapacité morale ou physique, de démission devant le Congrès ou d’impeachment. Pour approuver la destitution pour incapacité morale (la même qui a été poussée contre Vizcarra), deux tiers de la chambre sont nécessaires, un nombre que pour l’instant — et en tenant compte du tourbillon imprévisible de la politique péruvienne — l’opposition est loin d’atteindre.
Au centre de tous les regards se trouvait Guido Bellido, président du Conseil des ministres, militant de Perú Libre et homme fort de Cerrón. Bellido a été la cible des critiques de l’opposition, tant en raison de l’importance de son poste que de ses propres positions : ses propos homophobes ont donné lieu à des affrontements lors de la proposition de sa nomination avec l’économiste et ministre de l’Économie, Pedro Francke.
Bellido était chargé de prendre la parole devant le Congrès pour demander le vote de confiance : il a commencé sa présentation en parlant en quechua et en revendiquant la plurinationalité du Pérou. Avec un message conciliant, évitant la confrontation avec le Parlement, il a insisté sur le respect de la liberté d’expression et s’est distancé des accusations de terrorisme. Il a également exposé les principales propositions de son administration : renforcer l’entreprise publique PetroPerú, engager de grands travaux publics en mettant l’accent sur les transports, promouvoir la vaccination et faire avancer des améliorations concrètes pour les paysans. Mais on ne peut ignorer qu’il y avait un énorme point en suspens : l’Assemblée constituante, la principale promesse de campagne de M. Castillo, dont pas un mot n’a été dit tout au long de son discours.
L’Assemblée Constituante n’est pas été portée au parlement. Bellido, Cerrón et Castillo ont convenu que ce n’était pas le bon moment pour mettre en avant l’un des problèmes les plus critiques du pays. Cette décision révèle que la tentative initiale de Castillo de tenter d’amender la Constitution avec le consentement du Parlement semble plus éloignée au vu de l’hostilité de celui-ci, et dans la crainte que l’idée d’un référendum et d’une consultation populaire pourrait reprendre vigueur.
Mais la conflictualité péruvien va au-delà des allées du parlement. Mardi, un décret a été publié qui durcit les conditions d’emprisonnement des détenus très dangereux, ce qui a conduit au transfert de Vladimiro Montesinos à la prison d’Ancón II, et l’on s’attend à ce que l’ancien président Alberto Fujimori subisse le même sort. Tous deux avaient des libertés notoires dans leurs conditions de détention et Montesinos a été accusé de coordonner depuis son lieu de détention le versement de pots-de-vin à des membres du Jury national électoral afin qu’ils favorisent Keiko Fujimori. « Les prisons dorées c’est fini avec ce gouvernement », a déclaré Vladimir Cerrón via Twitter.
En conclusion, le vote de confiance est une première victoire pour l’alliance gouvernementale. Castillo a construit des accords parlementaires, validé son équipe gouvernementale et démontré qu’il pouvait dépasser les limites de sa propre représentation. L’inviabilité d’un système tel que celui du Pérou, où la somme de petites minorités législatives peut invalider la volonté populaire de larges majorités, reste bien présente.
Il n’y a qu’une seule solution pour faire face à cette architecture institutionnelle extrêmement complexe : l’Assemblée constituante. Castillo a démontré qu’il pouvait construire des majorités dans une démarche digne du populisme d’Ernesto Laclau : il a construit une chaîne de valeurs et un antagonisme clair pour gagner la confiance du parlement. Il reste maintenant à voir s’il peut maintenir cette majorité de circonstance tout en faisant passer l’Assemblée constituante, avec un Congrès obstructionniste et la menace latente d’ « humalisation »[1] de son gouvernement. Pour l’instant, la prochaine étape complexe sera l’approbation du budget. Mais il s’agit d’un autre chapitre de cette histoire.
Yair Cybel
Source: Celag Traduction : Venesol
[1] En référence à Ollanta Humala, président de 2011 à 2016, considéré comme « socialiste » avant son élection mais qui a poursuivi une politique clairement néolibérale durant son mandat.