Bolsonaro désenchante ses partisans

Lors de la marche du mardi 7 septembre, le mot d’ordre de l’extrême droite brésilienne était clair : occuper militairement le Tribunal suprême fédéral (STF) et permettre d’ouvrir la voie au pouvoir absolu avant les élections d’octobre 2022. Le président Jair Bolsonaro a répondu à l’appel de ses partisans : « Le peuple dira où le gouvernement doit aller ». Et devant plus de 120 000 personnes, il a annoncé qu’il n’accepterait pas les décisions du juge de la Haute Cour Alexandre de Moraes, qu’il a qualifié de « canaille ». En moins de 48 heures, cette ferveur fasciste s’est diluée. Faiblesse ? Réarrangement ? Tension interne ? Accord mafieux ?

Mercredi, au lendemain de l’offensive de Bolsonaro et de ses partisans, la Cour suprême fédérale a menacé le président de poursuites pour atteinte à la démocratie s’il ne se conformait pas aux décisions de justice. Le président du système de justice électorale, Luiz Barroso, a également qualifié Bolsonaro de « faussaire » pour avoir publié de fausses informations sur la fraude électorale.

Depuis le Congrès, Arthur Lira, le chef de la Chambre des députés, pourtant pro-gouvernement a averti qu’ « il n’y a pas de place pour l’extrémisme » et a demandé l’arrêt des tensions institutionnelles entre le gouvernement et le Tribunal fédéral suprême. « Il est temps de mettre un terme à cette escalade de tension en boucle et de s’attaquer aux véritables problèmes du pays ». Est-ce un acte d’héroïsme de la part du chef de la Chambre des Députés ? On peut à tout le moins penser que le bolsonarisme au Congrès n’a pas approuvé son leader lorsqu’il a promis de s’en prendre aux institutions de l’État si elles ne le laissent pas gouverner.

Le climat institutionnel délétère et la tension générée par la marche de mardi (contrebalancée en partie par la manifestation peu médiatisée contre Bolsonaro et son gouvernement le même jour) ont été suivis d’une déclaration du président lui-même dans laquelle il a précisé qu’il accepterait les résolutions du tribunal enquêtant sur ses affaires, son administration gouvernementale et ses enfants. « Je réitère mon respect pour les institutions de la République, les forces vives qui contribuent à gouverner le pays », a-t-il déclaré. La même Cour suprême que l’ancien capitaine avait menacée d’intervenir serait désormais respectée dans ses décisions. Conclusion invraisemblable.

Jeudi, Bolsonaro a adressé une « lettre au pays » dans laquelle il s’engageait à respecter les décisions du STF, tandis que les barrages routiers de l’ultra-droite le poussaient à réaliser le coup d’État institutionnel dont il avait menacé. La stratégie du coup d’État consistait à bloquer les routes dans au moins 15 États du pays, à générer le chaos et à contrôler les rues pendant que le pouvoir civil-militaire avançait sur les institutions. Les chauffeurs routiers autonomes et les hommes d’affaires ruraux ont fait leur part mais sont repartis bredouilles. Les rues ont été vidées des fascistes et une remise en question de la stratégie initiale est en vue.

Le retour de Temer. Pour quoi faire ?

Les « institutions » brésiliennes, qui ont été marquées par des années de compromissions (allégations de pots-de-vin au Congrès, lois en faveur de l’agro industrie et des méga-mines, coup d’État contre Dilma Rousseff, affaires de corruption impliquant presque tous les partis), sont peu acceptées par la population mais, à l’intérieur, ce sont de véritables confréries dans lesquelles la lutte pour le pouvoir est quotidienne. La faiblesse institutionnelle crée un terrain favorable à l’extrême droite qui, malgré tout, a pour le moment échoué dans sa tentative de coup d’État.

Cela explique pourquoi c’est une figure de la politique la plus négative du Brésil qui est intervenue pour éteindre l’incendie et apaiser les tensions entre Bolsonaro et le juge Moraes. L’ancien président Michel Temer était le second de Dilma, il l’a trahie, a soutenu l’ « impeachment » et a été laissé à la tête du gouvernement lorsque la présidente a été évincée par le Congrès en août 2016, et a occupé son poste jusqu’à l’arrivée de Bolsonaro en 2018. C’est sous son mandat, Lula da Silva a été persécuté politiquement et judiciairement.

L’ancien président Temer ne garantit pas la santé morale des institutions, loin de là, mais il était la pièce vers laquelle Bolsonaro s’est tourné pour désamorcer une situation qui devenait incontrôlable. L’ancien président est également un représentant du pouvoir établi, des milieux qui soutiennent Bolsonaro dans ses projets de privatisation, qui réduit les retraites et les droits du travail. La presse brésilienne a rappelé que l’actuel juge Moraes, en tant que secrétaire à la sécurité de São Paulo, a réussi à démanteler un groupe de hackers qui avaient piraté le téléphone portable de l’épouse de Temer et qu’une faveur en entraînant l’autre, Moraes a été ministre de la justice du président successeur de Dilma, puis est entré à la Cour, sous l’impulsion du président non élu lui-même.

Ce qui est certain, c’est que, par l’intermédiaire de Temer, Bolsonaro a assuré au juge Moraes que sa déclaration de coup d’État lui était venue « dans le feu de l’action » (ce qu’il a répété dans sa lettre au pays) et qu’il n’interviendrait pas dans ses décisions. L’état de putréfaction institutionnelle du Brésil permet de soupçonner que rien n’est fortuit ou gratuit dans la façon dont le pouvoir est exercé. Il est fort probable que cette « promesse » donnera à Bolsonaro un peu de répit pour arriver aux élections d’octobre prochain dans la meilleure position possible. Mais il doit payer le prix fort devant ses partisans, ceux qui pendant la semaine (et jusqu’à ce dimanche) se sont mobilisés dans les rues et sur les réseaux sociaux pour critiquer le manque de cran de leur président.

Deux autres acteurs du pouvoir établi et de la droite brésilienne, les militaires et le système financier, ont préféré être prudents plutôt que d’attiser le feu. Les militaires sont un élément central du gouvernement, ils n’aiment pas les institutions mais ne s’identifient pas non plus à un leader imprévisible et zigzaguant comme Bolsonaro. Le vice-président brésilien, Hamilton Mourão, a approuvé les plaintes de Bolsonaro contre la Cour mais a préféré ne pas parler de l’idée d’y intervenir. Le « marché » et les grandes entreprises font des affaires avec Bolsonaro et ses privatisations comme ils le feraient avec tout autre gouvernement néolibéral. Ils ne sont pas non plus représentés par le bolsonarisme, mais ils ont besoin de garanties sur la stabilité du modèle économique.

Bolsonaristes désenchantés

« Je contribue à pacifier le pays », a déclaré Temer, lorsqu’il est intervenu entre le gouvernement et le Tribunal Suprème fédéral. Le plus grand traître politique de l’histoire récente du Brésil se positionne désormais comme un homme de paix et d’institutions. Pour la base bolonariste, il est un représentant de la vieille politique corrompue et, pour cette raison, son retour sur la scène politique main dans la main avec le président n’a pas été bien accueilli.

Outre la personnalité et le rôle de Temer, le désenchantement des secteurs qui accompagnent l’extrême droite brésilienne a plusieurs raisons d’être. Il suffit de rappeler que pendant deux mois, le bolsonarisme a réuni des camionneurs indépendants, des hommes d’affaires ruraux, des policiers, des millionnaires d’extrême droite, des pasteurs évangélistes, des patrons de l’agrobusiness et des méga-mines et des militaires à la retraite pour organiser l’attaque contre le Tribunal. La fureur de dizaines de milliers de personnes dans les rues les a enhardi jusqu’à ce que Bolsonaro les renvoie chez eux et laisse l’offensive contre le « communisme » pour plus tard.

Bolsonaro leur a fait comprendre qu’il ne « reculait pas » mais leur a demandé de la compréhension car il y a des processus qui « vont lentement ».  Il a admis que « certains (de ses partisans) veulent que j’aille là-bas (à la plus haute juridiction) et que je massacre tout le monde », mais « aujourd’hui, il n’y a pas de pays isolé, ils sont tous intégrés au monde ». Il a fait l’éloge de ses partisans, déclarant que « votre travail a été exceptionnel », tout en faisant preuve d’ironie : « si quelqu’un tombe amoureux et se marie après une semaine, ce mariage se passera mal ».

Le cœur du bolonarisme a crié dans le vide (et dans les rues) avec un raisonnement logique de son point de vue putschiste : nous sommes descendus dans les rues, nous avons bloqué les routes, nous avons fait notre travail, mais les forces armées n’ont pas fait le leur et le président a reculé. Pour ne rien arranger, au cours de ces dernières heures, Bolsonaro a participé à distance à un sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et a remercié son homologue chinois, Xi Jingping, pour sa coopération dans l’envoi de matières premières pour le vaccin contre le coronavirus. Réactionnaires et fascistes ont aussi des sentiments : douleur et désenchantement, dans ce cas.

À un an des élections présidentielles, il ne faut pas seulement regarder Lula da Silva (en tête de tous les sondages) mais aussi — et surtout — les acteurs qui font partie du pouvoir que Bolsonaro a dilapidé depuis son arrivée au pouvoir.

Les militaires sont toujours prêts à charger contre les institutions, mais Bolsonaro ne semble pas les représenter ; les pouvoirs économiques, commerciaux et financiers n’ont pas besoin du président, mais plutôt de la continuité du programme néolibéral. Rien n’est fermé, mais dans les rues, l’extrême droite est (pour le moment) les mains vides, tandis qu’au Congrès, il est clair que plus le président est faible, plus la « vieille droite » a du pouvoir. Il y a un Bolsonaro qui est mort des mains du monstre qu’il a aidé à construire. Il y en a un autre, prisonnier d’une politique perfide, fonctionnelle au néolibéralisme « républicain » et « institutionnel ». Il n’est pas impossible que l’équation à laquelle pensent les pouvoirs en place pour les prochaines élections se formulera sans Bolsonaro.

Adrián Fernández

Source : America XXI     Traduction : Venesol