Estamos Listas (Nous sommes prêtes) est un mouvement politique colombien qui a émergé en 2017, lorsqu’un groupe de femmes de Medellín a décidé de s’organiser et de commencer à contester les espaces de pouvoir. En décembre 2021, elles ont été autorisées à se présenter aux élections sénatoriales du 13 mars.

Le mouvement présentera la première liste féministe de Colombie, qui comprend des candidates de secteurs de la société sous-représentés lors des élections précédentes, des femmes afro-descendantes et des représentantes trans, lesbiennes et intersexes.
« Nous appartenons à cette longue histoire des féministes et de la lutte des femmes dans notre pays qui, pendant des années, ont ouvert des espaces, mis en place des discussions et ouvert des chemins vers les libertés. Nous sommes le prolongement de la mobilisation sociale vers le pouvoir et la volonté de pouvoir des féministes », déclare Elizabeth Giraldo Giraldo, première candidate d’Estamos Listas.
Les principales dirigeantes de ce collectif soutiennent la leader afro-colombienne Francia Márquez en tant que pré-candidate à la présidence au sein du Pacte historique, mais précisent qu’ils ne font pas partie de ce front progressiste et de gauche qui n’a pas encore décidé qui se présentera aux élections présidentielles du 29 mai.
« Nous reconnaissons en Francia sa place en tant que défenseure des droits humains, en tant que féministe, en tant que seule candidate à défendre ouvertement et directement la dépénalisation de l’avortement, et bien sûr en tant que grande leader environnementale », déclare Giraldo Giraldo, ajoutant que « nous constatons que les exclusions que nous vivons sont multiples et simultanées, et il est important d’avoir un projet politique qui les accueille, qui ne choisit pas. Il n’est pas vrai que nous vivons l’une ou l’autre exclusion, nous les vivions simultanément ».

Que représentent vos candidatures pour l’histoire politique de la Colombie ?
Notre liste de 11 femmes candidates, féministes, issues d’un mouvement politique féminin, est une avancée dans les conditions de la politique actuelle. Notre présence dans la campagne électorale est l’expression d’un mouvement politique qui naît des capacités, des rêves et des désirs des majorités sociales, qui a l’esprit, la forme et l’âme des travailleuses et travailleurs du pays. Nous appartenons à la longue histoire des féministes dans notre pays et à la lutte des femmes qui, depuis des années, ont ouvert des espaces, mis en place des discussions et ouvert des chemins vers la liberté. Nous sommes le prolongement de la mobilisation sociale vers le pouvoir et la volonté de pouvoir des féministes. Nous voulons montrer qu’il peut y avoir un parcours fluide entre la rue, la protestation, la mobilisation, avec la possibilité de gagner des élections et d’occuper les espaces où se prennent les décisions les plus importantes du pays. Les féministes montrent que nous avons le pays dans la tête, que nous avons un horizon politique à offrir où le féminisme est présenté comme un projet politique, social et humain pour la Colombie. Je crois que notre liste représente aussi la beauté et la joie de la politique. Avec la diversité, la pluralité, la beauté et la joie avec lesquelles nous menons cette campagne, nous démontrons que la politique peut aussi se faire à l’image de ce que nous sommes et vivons en tant que majorités sociales.
Pourquoi est-il important pour vous de penser la parité en termes pluriels et non binaires ?
Nous proposons le féminisme comme un projet politique des majorités sociales qui cherche à conquérir les arènes du pouvoir afin de garantir leur représentation. Cependant, nous savons également que le féminisme se bat contre tout un système d’inégalités qui comprend le racisme, par exemple, ou un pays centralisé qui a donné naissance à une périphérie où l’État est faible, un système qui produit des exclusions et des violations des droits des dissidents sexuels. Nous constatons que les exclusions que nous vivons sont multiples et simultanées, et il est important d’avoir un projet politique qui les accueille, qui ne choisit pas. Il n’est pas vrai que nous vivons l’une ou l’autre exclusion, nous les vivions simultanément. C’est pourquoi il est important d’avoir cette liste qui représente la diversité, la pluralité de ce que nous sommes, et qui garantit également la possibilité de représenter les majorités, afin qu’ensemble nous puissions transformer ce modèle excluant au niveau économique, social et politique.

Est-il suffisant d’atteindre la parité hommes-femmes aux postes politiques pour promouvoir un programme féministe ?
Je pense que nous avons montré que c’est insuffisant. Parce qu’aujourd’hui, nous nous rendons compte que les partis ou les mouvements qui s’opposent à nos droits, nos libertés, nos décisions et notre autonomie sont également dirigés par des femmes qui veulent maintenir ce système d’inégalité et d’exclusion. La parité est donc importante, mais une parité dans la pluralité et la diversité des expériences, des territoires, des classes. Et, bien sûr, les femmes qui s’y opposent ne nous représentent pas et ne feront jamais avancer un projet féministe. Dans les faits, elles s’y opposent. Nous avons besoin de parité, mais de parité dans la diversité, la pluralité, et aussi avec des projets féministes qui cherchent à transformer la structure de pouvoir qui reproduit l’exclusion. C’est pourquoi nous proposons une liste plurielle et diverse, qui permettra de progresser vers la parité, mais aussi de faire en sorte que des voix différentes parviennent à ces espaces de pouvoir, que nous puissions parler de réalités multiples, que nous puissions avoir une vision plus complexe du pays, plus proche de la réalité que vivent les Colombiens et les Colombiennes. Nous visons les deux choses : la représentativité, mais aussi la transformation d’un modèle qui nous exclut et veut nous maintenir en marge de la politique, des décisions. Et aussi, bien sûr, de développer un autre modèle économique.
Pourquoi avez-vous décidé de soutenir Francia Márquez, pré-candidate à la présidence du Pacte historique ?
C’est suite à un vote interne que nous avons effectué au sein du mouvement, par le biais de nos mécanismes démocratiques internes. Depuis le début de l’année 2021, nous avons exprimé notre désir, notre soutien et notre appui aux candidatures féministes, qui comprenaient alors Francia et Ángela María Robledo. Cette année-là, lors de la Convention nationale féministe, nous avons exprimé la volonté de pouvoir des féministes pour les différents scrutins électoraux, y compris la présidence, c’est donc de là que vient notre soutien. Nous reconnaissons sa légitimité en tant que défenseure des droits humains, en tant que féministe, en tant que seule candidate qui défend ouvertement et directement la dépénalisation de l’avortement, et bien sûr en tant que grande leader environnementale. Ce soutien à la Francia ne se réfère à aucun moment à une adhésion au Pacte historique ou à une quelconque alliance, mais plutôt à sa candidature, et par ailleurs au respect des décisions qu’elle a prises pour participer au Pacte.

Le président élu du Chili, Gabriel Boric, a présenté un cabinet à majorité féminine. La présence de femmes latino-américaines aux postes de pouvoir est-elle en augmentation ou s’agit-il de cas isolés ?
Si nous examinons une évolution à moyen terme, dans le cas de l’Amérique latine, nous pouvons constater une tendance à la hausse de la participation politique des femmes, tant aux postes élus qu’aux postes administratifs et de direction des États. Il est également important de voir que dans des pays comme le Chili et l’Argentine, des femmes féministes prennent des décisions. « Estamos Listas » s’inscrit dans ce mouvement régional et international des féminismes au pouvoir. Nous voyons l’écho impressionnant qu’a « Estamos Listas », la réception, les encouragements, le soutien qu’elle reçoit de la part des femmes du continent qui sont inspirées avec nous, et nous voyons aussi notre singularité, qui est de nous manifester en tant que mouvement de femmes féministes. En même temps, nous sommes inspirées par la volonté d’arriver au pouvoir des féministes du Cône Sud et par la lucidité qu’elles ont sur ce que devraient être les politiques de l’État en matière de redistribution, de reproduction sociale et de soins. Beaucoup d’éléments nous font sentir que l’Amérique latine est en train de se transformer et que, année après année, nous allons réaliser ce grand rêve d’émancipation des majorités sociales, des femmes et des dissidents. Nous ne sommes pas des cas isolés, nous sommes un avenir qui se construit, et ce dont nous avons besoin, c’est que de plus en plus de personnes se joignent à la possibilité de rêver cet avenir que le féminisme nous propose.
María Jagoe
Source : America XXI Traduction : Venesol