Ce 27 janvier, Xiomara Castro a pris la présidence du Honduras. Avec une coalition de partis, d’organisations et de mouvements sociaux, la nouvelle présidente est confrontée à une série de défis parmi lesquels l’arrêt du pillage des territoires et la prise en compte des revendications que les peuples indigènes et les paysans défendent depuis des décennies.

Xiomara Castro doit également affronter une opposition d’extrême droite qui, avec les forces armées et les États-Unis, a été l’artisan du renversement de son mari, Manuel Zelaya, qui a occupé la présidence de 2006 à 2009.
Pour décrire la situation actuelle au Honduras, La Tinta s’est entretenue avec Bertha Zúñiga Cáceres, coordinatrice générale du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH) et fille de Berta Cáceres, leader lenca et défenseure de l’environnement, assassinée par des tueurs à gages le 3 mars 2016.
Dans le cadre de COPINH, qu’attendez-vous du gouvernement de Xiomara Castro ?
Nous comprenons les difficultés auxquelles est confronté un gouvernement qui doit notamment surmonter – ou jeter les bases pour surmonter – douze années de coup d’État et de post-coup d’État. Le gouvernement a de la bonne volonté et des slogans populaires, mais la concrétisation de nombre de ces propositions va se heurter à de nombreuses difficultés. Il existe toujours une configuration complexe du pouvoir, dans la mesure où le système judiciaire est toujours contrôlé par le secteur le plus réactionnaire, qui a permis l’impunité dans le pays. Au Congrès national, comme nous l’avons vu au cours de ces premiers mois, il y a une lutte de pouvoir et qui érode l’institutionnalité formelle.

En plus de cela, la faillite de plusieurs institutions de l’État entraîne de nouvelles dettes pour le nouveau gouvernement, dettes qui se traduisent par des concessions faites sur la souveraineté du peuple du Honduras. De plus, il faut dire que le pouvoir de facto continue d’être partagé et contrôlé essentiellement par des groupes économiques qui, à leur tour, contrôlent le pouvoir de l’État.
Il faut se rappeler les réflexions de notre camarade Berta Cáceres, qui disait toujours que le fait d’être président ne vous donne pas le pouvoir, comme on l’a vu avec Mel Zelaya. Nous voyons comment ces pouvoirs réels se mobilisent afin de continuer à contrôler les institutions. Nos attentes sont de jeter quelques bases pour résoudre des problèmes structurels, notamment en termes de territoires et de droits des peuples autochtones. Ce sera un chemin complexe et difficile, mais nous, organisations sociales, devons rester combatives.
Quelles sont les principales propositions et demandes du COPINH au gouvernement ?
Dans le cadre de la commission de transition que le gouvernement a créée pour discuter avec les mouvements sociaux, nous avons soulevé des questions très importantes. D’une part, la question du territoire : que l’État reconnaisse la souveraineté historique des peuples indigènes et qu’il le fasse de manière formelle, par le biais de l’Institut agraire national, en délivrant les titres de propriété nécessaires aux communautés qui se battent pour les terres, non seulement du peuple Lenca, mais aussi d’autres peuples originaires qui connaissent des situations similaires.
En outre, nous avons proposé que les concessions des rivières et du sous-sol pour l’exploitation hydroélectrique, minière et d’autres énergies, qui ont été accordées sous le coup d’État et en violation du droit à la consultation libre, préalable et informée, soient déclarées frauduleuses.
Nous avons également proposé la création d’une loi pour la protection de la vie, dans laquelle la vie des communautés qui peuvent être menacées serait toujours prioritaire par rapport aux intérêts économiques, politiques ou de tout autre type. Cela impliquerait non seulement les communautés traditionnelles, mais aussi les communautés paysannes, qui, au Honduras, doivent affronter de nombreux conflits dans ce domaine, afin de protéger et de toujours donner la priorité à la vie et ainsi faire en sorte que ces crimes ne se répètent pas.
Xiomara a également fait de la justice pour Berta Cáceres un élément de sa campagne. Nous avons proposé la création d’une table ronde de haut niveau entre les institutions de l’État, les organisations internationales qui peuvent aider à l’enquête et dont les victimes et le COPINH font partie, afin de traduire en justice les auteurs intellectuels et les nombreux délits liés au meurtre de Berta Cáceres, tels que la corruption, éventuellement le blanchiment d’argent et d’autres crimes qui ont permis la violation des droits des communautés indigènes et l’installation de la violence.
Au cours de ces premiers mois du gouvernement, quelle est la position de l’opposition ?
Dans l’opposition, le Parti national, qui est le secteur le plus conservateur du Honduras, est resté assez effacé, silencieux, humilié, car sa défaite est due à la montée du malaise social au sein du peuple hondurien. Les scandales de corruption ont généré une grande agitation. Tout cela au milieu du processus d’extradition de (l’ancien président) Juan Orlando Hernández, un élément très important pour le peuple du Honduras.
Ces secteurs politiques appartiennent à des structures criminelles et cela est plus que prouvé. En dehors de la sphère publique, ils continuent d’agir et c’est ce qu’atteste la crise du Congrès national. Ils continuent à manœuvrer pour assurer leur impunité et le bénéfice économique des concessions de l’État. De plus, ils sont représentés au sein de ce gouvernement. Ce gouvernement est né d’un pacte, impliquant plusieurs partis, qui a créé une alliance d’opposition. Dès le départ, il s’agissait de négocier certaines approches, notamment sur le plan économique. Ils continuent à agir de manière très active pour garantir leur impunité et continuer à agir dans un contexte qui leur permet de réaliser des profits exorbitants.
Comment pensez-vous que les forces armées vont se comporter sous la nouvelle administration ?
Le gouvernement a clairement indiqué que les forces armées, qui ont participé au coup d’État contre Manuel Zelaya Rosales, sont une institution au service d’intérêts qui ne coïncident pas avec ceux de la majorité. Même l’enquête sur le trafic de drogue serait un coup dur pour les dirigeants des forces armées. Des personnes très proches du gouvernement ont été nommées, comme les secrétaires à la défense et à la sécurité, afin d’avoir une sorte de contrôle sur cette institution.
Cependant, ni la population ni le gouvernement ne sont sûrs du rôle que l’armée peut jouer à tout moment, par exemple en cas d’instabilité. Elle est toujours considérée comme une institution menaçant les intérêts du peuple hondurien et qui doit être surveillée de près. Elle n’est en rien fiable. Maintenant, il y a une période de transition dans laquelle ils s’installent pour voir aussi comment ils se comportent.

Comment se poursuit le procès de l’assassinat de Berta Cáceres ?
Nous sommes à quelques jours de la commémoration du sixième anniversaire du crime odieux de notre camarade Berta Cáceres. Malgré les efforts déployés et certaines victoires très modestes mais très importantes, nous continuons à exiger que l’État s’acquitte de sa dette envers la justice, poursuive le cerveau et démantèle la structure criminelle qui a conduit au meurtre de Berta Cáceres. Dans cette affaire, qui a impliqué des milieux d’affaires privés, des banques internationales, les forces armées, des membres du pouvoir judiciaire, qui ont conduit à la poursuite et à la criminalisation de Berta Cáceres. En outre, nous demandons le démantèlement des sociétés de sécurité privées qui ont participé aux actions et aux attaques contre les militants sociaux, en particulier ceux qui défendent les territoires. Et nous lançons une alerte contre le danger que les communautés de Río Blanco courent aujourd’hui de voir leurs terres privatisées.
Tout cela souligne l’importance de poursuivre la lutte pour la justice et, peut-être, la volonté du nouveau gouvernement de la faire aboutir est le scénario le plus approprié pour promouvoir le changement dans l’institution de la justice afin que, avec indépendance, professionnalisme et volonté politique, les principaux responsables et tous ceux impliqués dans ce crime puissent être traduits en justice.
Redacción La tinta / Photo de couverture : Latfem.