Discours d’Alberto Fernandez au sommet des Amériques

Monsieur le président des États-Unis,
Mesdames et Messieurs les chefs d’État et de Gouvernement,
Mesdames et Messieurs,

Je veux commencer par saluer les efforts réalisés pour l’organisation de ce neuvième sommet des Amériques. Je regrette que tous ceux d’entre nous qui auraient dû être présents n’aient pu l’être dans ce forum si propice au débat.

Il me revient de prendre la parole aujourd’hui en ma qualité de président pro tempore de la CELAC. Nous sommes la Communauté des États d’Amérique Latine et des Caraïbes. Dans cet espace, nous cohabitons dans la diversité et nous nous respectons. Nous avons des points de vue différents, mais nous partageons des préoccupations similaires dans cette période actuelle complexe.

Le fait que l’Amérique latine et les Caraïbes soient sorties de la pandémie comme la région la plus endettée du monde en développement nous inquiète. Le poids moyen de la dette extérieure dépasse 70 % du produit intérieur brut de la région. Le travail informel qui aujourd’hui dépasse 50 % nous préoccupe. Cette sorte de « loterie de la naissance » qui fait que ceux qui naissent dans des villages pauvres de notre région voient leur espérance de vie réduite de presque 15 ans par rapport à ceux qui naissent dans des quartiers chics, nous fait de la peine.

Pourquoi souffrons-nous de telles pénuries si notre terre nous a équipés pour produire des aliments et de l’énergie comme peu de régions au monde ? La réponse se trouve dans l’ordre mondial. Le monde central a fixé des règles financières manifestement inéquitables. Quelques-uns concentrent la richesse alors que des millions d’êtres humains restent piégés dans le gouffre de la pauvreté.

Depuis la périphérie où nous sommes placés, l’Amérique latine et les Caraïbes regardent avec chagrin la souffrance des peuples frères. Cuba supporte un blocus depuis plus de 6 décennies imposé pendant les années de la « guerre froide » et le Venezuela en subit un autre pendant qu’une pandémie ravageant l’humanité fait des millions de victimes.

Ces mesures visent à conditionner les gouvernements mais dans les faits, on ne fait que nuire à la population.

Nous aurions certainement aimé un autre sommet des Amériques. Le silence des absents nous interpelle. Pour que ceci ne se produise plus jamais, il faudra préciser pour l’avenir que le fait d’être le pays hôte du sommet ne donne pas la capacité d’imposer un « droit d’admission » aux pays membres du continent. Le dialogue dans la diversité est le meilleur instrument pour promouvoir la démocratie, la modernisation et la lutte contre les inégalités.

Président Biden, je suis certain que le moment est venu de s’ouvrir de manière fraternelle à la poursuite d’intérêts communs. Les années qui ont précédé votre arrivée au gouvernement des États-Unis d’Amérique ont été marquées par une politique immensément néfaste pour notre région, déployée par l’administration qui vous a précédé. Il est temps que ces politiques changent et que les dommages soient réparés.

L’OEA a été utilisée comme un gendarme qui a facilité un coup d’Etat en Bolivie. La direction de la Banque interaméricaine de développement, historiquement aux mains de l’Amérique latine, a été détournée. Le rapprochement avec Cuba, sous la médiation du pape François, qui signifiait des progrès réalisés par l’administration de Barack Obama alors que vous étiez vice-président, a été contrecarré. L’intervention du gouvernement de Donald Trump auprès du Fonds monétaire international a été décisive pour faciliter un endettement insoutenable en faveur d’un gouvernement argentin en déclin. Elle l’a fait dans le seul but d’empêcher ce qui a fini par être le triomphe électoral de notre force politique. C’est suite à cette attitude indécente que le peuple argentin tout entier souffre aujourd’hui.

Lors de ce sommet, nous devons analyser le présent et planifier l’avenir en vue d’une reconstruction créative du multilatéralisme. On ne peut imposer une pensée unique dans un monde qui exige l’harmonie symphonique face aux drames communs.

Permettez-moi de souligner ici l’urgence de reconstruire les institutions qui ont été pensées précisément pour nous intégrer.

L’OEA, si elle veut être respectée et redevenir la plate-forme politique régionale pour laquelle elle a été créé, doit être restructurée en écartant immédiatement ceux qui la dirigent.

La Banque Interaméricaine de Développement doit, sans retard, à nouveau avoir à sa direction l’Amérique latine et les Caraïbes. La BID a besoin d’un processus de capitalisation pour disposer de moyens de financement plus nombreux et meilleurs. 

Dans l’Amérique dans laquelle nous vivons, les exclusions du bien-être, du financement soutenable, de la diversification de la production, de la technologie au service du progrès social et de l’équité de genre ne sont pas non plus admissibles. Relevons le défi de nous attaquer aux causes profondes qui mettent en tension notre coexistence démocratique.

Le monde est menacé par des opportunistes de la haine qui sèment le découragement parmi les peuples les plus touchés par la pandémie. Il est temps de les affronter.

L’Amérique latine et les Caraïbes connaissent la nécessité de l’intégration comme condition de base pour réussir leur développement.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a un impact sur nous. Il est urgent de construire des scénarios de négociation qui mettent fin à la catastrophe de la guerre. Sans humiliation ni désir de domination. Sans géopolitique déhumanisée ni privilèges de la violence.

Ne nous laissons pas aveugler par la tragédie humanitaire que nous vivons. Je suis convaincu que nous avons la possibilité d’envisager le développement d’un véritable partenariat stratégique commun. Je propose deux objectifs majeurs : organisons la production d’aliments et de protéines à l’échelle du continent, et développons notre énorme potentiel d’énergie et de minéraux indispensables à la transition écologique.

Je viens d’un pays humaniste où la valeur des droits de l’homme est consacrée au cœur de notre identité et nous les défendrons toujours dans tous les domaines.

Précisément pour cette raison, il nous est naturel de penser à la construction d’un avenir soutenable, résiliant et égalitaire comme le souligne la devise de ce sommet, je ne suis pas venu à Los Angeles pour discuter quand le faire ; c’est aujourd’hui. La faim attaque. Nous devons juste discuter de la manière de le faire.

Face à tant d’inégalités, nous devons plaider en faveur de politiques fiscales progressives, même si nous sommes dépeints par les élites nationales comme un danger pour la qualité de la démocratie. Les revenus exceptionnels que la guerre a offerts en cadeau aux grandes entreprises de l’agroalimentaire, du pétrole et de l’armement devraient être taxés afin d’améliorer la répartition des revenus.

Pourquoi avons-nous été élus si ce n’est pour mettre en œuvre des mesures au profit de l’ensemble de la population et non au profit de quelques-uns ? Aucune théorie du ruissellement n’a jamais fonctionné. Il est temps que nous en prenions note et agissions en conséquence.

Le changement climatique nous confronte également à de nouveaux défis. Les Caraïbes souffrent de façon dramatique et on n’a pas le temps d’attendre des réponses. Nous sommes créanciers de l’environnement. Nous apportons de l’oxygène à la planète et nous ne sommes pas responsables des émissions de gaz à effet de serre. L’injustice environnementale que nous subissons détruit notre continent. Nous devons affronter la transition écologique avec des aides financières suffisantes pour mobiliser l’innovation dans la justice sociale.

L’Argentine est un pays pacifique. Nous continuons à réclamer par voie diplomatique nos droits légitimes sur nos îles Malouines. Nous continuons à faire confiance au dialogue. Après la tragédie de la pandémie, nous voyons les guerres comme la victoire de l’insensibilité humaine.

Nous devons construire ensemble, unis, un nouvel humanisme qui, comme l’enseigne le pape François, commence par les plus petits pour s’étendre à tous.

Unis ou dominés.

Unis pour la « maison commune », ou dominés par la cupidité économique.
Unis pour le multilatéralisme ou dominés par la polarisation.
Unis pour la démocratie avec l’inclusion sociale ou dominés par l’individualisme et la misère collective.

Président Biden, je suis ici pour essayer de construire des ponts et abattre des murs. En tant que président de la CELAC, je vous invite à participer à notre prochaine réunion plénière. Je rêve que dans une Amérique fraternellement unie, nous nous engagions à ce que tous les êtres humains qui habitent notre continent aient droit au pain, à la terre, à un toit et à un travail décent.

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