Aucun programme gouvernemental ne réussira s’il ne s’inscrit pas dans un contexte de paix, n’a cessé de répéter Gustavo Petro durant les longs mois de sa campagne électorale. Sans paix, il n’y aura pas d’avenir.

Avec ses premiers pas, le président élu dessine un tissu politique et social multicolore sans laisser de points faibles qui pourraient laisser soupçonner un changement de cap avant sa prise de fonction. Les dirigeants politiques qui l’entourent savourent encore son triomphe et célèbrent chaque étape franchie par le futur chef d’État. Il est possible qu’il soit difficile pour le citoyen lambda de digérer certaines rencontres qui, pourtant, s’inscrivent dans la continuité de ce qu’il a défendu pendant la campagne électorale, notamment à l’approche du second tour.
La photo de la rencontre de Petro avec Rodolfo Hernández, le candidat d’extrême-droite battu au second tour, n’est pas évidente. Mais rien n’a plus d’impact que l’autre photo de cette semaine : Petro conversant avec Álvaro Uribe. Au-delà de l’impact visuel et médiatique, le président élu comprend que son point de départ sera la coexistence démocratique, même (bien qu’il ne le dise pas explicitement) avec ceux qui, comme Uribe, ont voulu le voir mort à plus d’une occasion (dans le sens littéral et non métaphorique).

« Espérons que le pays sera capable de voir le scénario du dialogue des différences. La conversation avec l’ancien président Uribe a été fructueuse et respectueuse. Nous avons trouvé des différences et des points communs. Il y aura toujours un dialogue gouvernement/opposition », a déclaré Gustavo Petro cette semaine. Ses réflexions après la rencontre avec le représentant le plus important de l’extrême droite militariste sont une invitation au peuple colombien à accepter l’étape qui l’attend. Soumission ou force politique ? Faiblesse ou coexistence démocratique ?
Il n’y a pas de période de plus grande concentration de pouvoir pour un leader politique que la période entre la victoire aux élections et sa prise de fonction. Ce principe réaffirme que ce moment, et aucun autre, est le moment idéal pour que Petro se montre à ses adversaires qui sont les plus proches de vouloir l’éradiquer de la surface de la terre. Si nous devions formuler un vœu, nous espérons que l’Uribe qui s’est montré un agneau après la réunion est celui que nous verrons désormais. Mais le pouvoir ne se dispute pas avec des souhaits, mais avec des faits concrets, avec l’histoire et des parcours déterminés. Qui peut penser que l’ami des paramilitaires a modéré son univers politique ? Qui peut penser que le corrompu et extrémiste Rodolfo Hernández est désormais devenu un noble rival politique qui s’adaptera aux nouveaux temps politiques ? Personne ne le pense. Petro moins qu’aucun autre, qui les connaît très bien et les a subis.
Avec ces rencontres et d’autres décisions politiques qu’il prend dès les premiers jours de son mandat (comme la nomination d’un conservateur à la tête du ministère des affaires étrangères), Petro nous dit que, tant qu’il aura le courage et les tripes, il répondra avec civilité et maturité à la haine qui coule dans le sang des plus rancuniers de la droite colombienne et continentale. Personne ne détient la vérité, ni dans ce pays ni dans aucun autre scénario latino-américain, et autant Petro propose la maturité politique et un « gouvernement d’amour », d’autres voudraient raccourcir les routes et prendre à la gorge les criminels de cet acabit. La question de la voie à suivre est donnée par le scénario politique régional et la réponse sera donnée par le passage rapide du temps. Objectivement, la place la plus appropriée pour Uribe est en prison (et aussi pour Hernández, qui entre dans la phase finale d’un des nombreux procès pour corruption). Mais tous deux jouissent de leurs pleins droits en liberté et sont en politique des oiseaux de proie aux sombres visées.
En marge mais pas tant que ça, entre les rencontres avec Hernández et Uribe, Petro a reçu les responsables de la Commission pour la clarification de la vérité en Colombie, dirigée par le prêtre Francisco de Roux, qui ont demandé le pardon et de ne pas répondre à la violence par plus de violence. Pour le rapport final, intitulé Hay Futuro, si hay Verdad, plus de 30 000 victimes et auteurs de crimes en Colombie et dans 27 pays où ils sont en exil ont été entendus. Le rapport raconte les histoires des victimes, la violation de leurs droits, les formes de persécution et la désignation des auteurs, une condition essentielle pour entamer le chemin de la réconciliation.

Ni Uribe, ni Hernández, ni aucun autre extrémiste ne pourront dire que l’homme qu’ils ont combattu de mille manières fait preuve de revanchisme et de haine. En regardant plus loin, c’est comme un point d’interrogation : Petro veut-il dire que répondre à la haine par la haine créera les conditions d’un scénario violent où l’extrême droite dispose des armes, des médias, du système financier et de ses armées de mercenaires et de paramilitaires ? Petro expérimente une façon de faire de la politique à une époque où la droite fait de l’anti-politique, de la haine et de la stigmatisation ses outils pour arriver au pouvoir à tout prix. Maintenant que le leader progressiste a remporté les élections, il faut le dire : avaler sa salive, prendre une grande respiration et coexister avec l’ennemi (sans perdre pied) est un défi. Les Colombiens méritent cette tentative de paix. Après tout, Hugo Chávez lui-même a partagé deux sommets présidentiels et plusieurs conversations avec Uribe, tout en sachant qu’il était dans le collimateur du paramilitarisme. Bien sûr, si l’ennemi ose frapper les institutions et commence à en ronger les fondations — et c’est inhérent à l’extrémisme de droite — il faudra inévitablement l’écraser au nom de la légitimité qui vient de la volonté du peuple.
Adrián Fernández
Source : America XXI Traduction : Venesol