Comment faire revivre l’UNASUR ?

La gauche en Amérique latine ne veut pas perdre de temps. Après les récentes victoires de Gustavo Petro en Colombie et de Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil, une correspondance a relancé la possibilité de « ressusciter » des organismes régionaux sur le point de disparaître.

L’une de ces organisations multilatérales est l’Union des nations sud-américaines (Unasur) qui a vu le jour officiellement en 2008 sous l’impulsion de l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez Frías et de ses homologues de l’époque : en Argentine, Néstor Kirchner ; en Équateur, Rafael Correa, et Lula lui-même au Brésil, mais qui a succombé ces dernières années à la vague de gouvernements conservateurs dans la région.

Les promoteurs de l’Unasur avaient en commun leur convergence politique : de gauche ou progressistes, les dirigeants avaient une vision commune de la nécessité de consolider l’unité régionale, de construire leur propre système financier et de prendre des mesures pour réagir en bloc, en s’inspirant d’expériences telles que l’Union européenne. Cependant, cette singularité, conçue comme une force, a fini par être le germe de sa faiblesse.

Les chefs d’État de l’UNASUR à Paramaribo, Suriname. 30 août 2013
photo: Santiago Armas / Légion-Média

C’est pourquoi l’appel lancé récemment par sept anciens présidents et hommes politiques sud-américains vise à tirer les leçons du passé afin de reconstruire une « nouvelle » UNASUR, qui ne soit pas un organisme « affaibli » ou « impuissant ». Mais est-ce possible ?

De l’Unasur qui a réussi à résoudre le conflit entre la Colombie et le Venezuela, qui a arrêté la tentative de coup d’État ratée en Équateur contre Rafael Correa et qui a pratiquement désactivé le sécessionnisme en Bolivie, il reste peu de choses.

Actuellement, seuls quatre pays font encore partie du bloc — le Venezuela, la Bolivie, le Suriname et la Guyane — après le départ de l’Argentine, du Brésil, du Chili, de la Colombie, de l’Équateur, de l’Uruguay, du Paraguay et du Pérou. Les défections au sein de l’organisme multilatéral ont coïncidé non seulement avec les changements de gouvernement dans ces nations, mais aussi avec la diplomatie agressive de la Maison Blanche sous l’administration de Donald Trump.

En fait, certains des pays qui ont quitté l’Unasur ont ensuite favorisé l’émergence d’autres initiatives, telles que Prosur, dans une tentative de remplacer le mécanisme précédent, mais avec une perspective plus pro-étasunienne.

De même, au niveau politique, les gouvernements de droite de la région se sont unis au sein du « Groupe de Lima » pour couper l’herbe sous le pied des organes de l’Unasur qui, pendant quelques années, ont éclipsé le rôle déjà peu reluisant de l’Organisation des États américains (OEA).

La confluence de ces facteurs a paralysé l’Unasur durant deux années caractérisées par d’intenses tentatives d’isolement contre le Venezuela, la fragmentation des initiatives régionales et le bilatéralisme agressif promu avec les États-Unis. Cependant, la fin de l’ère Trump et l’échec de plusieurs de ses politiques en Amérique latine se sont rapidement traduits par l’inopérabilité de Prosur et l’extinction du Groupe de Lima.

Maintenant que le pendule semble se déplacer vers la gauche dans la région, certains analystes estiment que le moment est venu de relancer une « nouvelle » Unasur, qui aura tiré les leçons des trois erreurs fondamentales du passé : le présidentialisme, la confiance excessive dans le consensus et le facteur états-unien.

Un rapport publié vendredi par l’ancien ministre équatorien des affaires étrangères Guillaume Long et l’avocate Natasha Suñé estime que le « présidentialisme » a été une arme à double tranchant qui a tronqué l’institutionnalisation de l’Unasur.

« Ce présidentialisme a débouché, surtout aux débuts de l’Unasur, sur ce que l’on a appelé le ‘multilatéralisme pro tempore’ : une pratique selon laquelle les États se relaient à la tête d’une organisation, généralement pour une période d’un an, pendant laquelle le service extérieur du pays qui exerce la ‘présidence pro tempore’ assume le rôle bureaucratique de l’organisation », explique le rapport. Ce modèle de fonctionnement signifie toutefois que la bureaucratie est renouvelée chaque année et qu’une « grande partie de la mémoire institutionnelle » est perdue, note le rapport. 

Si l’impulsion directe des dirigeants a permis au mécanisme d’avancer plus rapidement à ses débuts, il n’a pas eu la même vitesse que les vents politiques de la région. À long terme, les changements idéologiques dans certains pays ont entraîné des désaccords inévitables et un refroidissement de l’enthousiasme initial pour l’intégration, en raison de points de vue différents sur l’importance de l’unité.

Un autre élément que la « nouvelle » Unasur devra évaluer est la règle du consensus.

Si le principe de l’accord de tous les membres sur les décisions semble idéal, il n’est pas pratique lorsqu’il s’agit de prendre des résolutions opérationnelles.

L’impossibilité de parvenir à un consensus pour désigner la personne qui assumerait le poste de secrétaire général de l’Unasur pour la période 2017 et 2019 a paralysé l’organisation à l’époque et ouvert les premières brèches. Au cours des années suivantes, plusieurs nations ont suspendu leur participation au bloc ou ont directement dénoncé le traité, affirmant que le mécanisme était inefficace ou inopérant.

Selon le rapport du CEPR, la nouvelle Unasur devrait s’orienter vers un modèle décisionnel hybride permettant, par exemple, que les questions de fonctionnement soient résolues par un vote à la majorité (simple ou qualifiée) et que le consensus continue d’exister pour des questions telles que l’adhésion de nouveaux membres.

Bien que l’Unasur soit de nature sud-américaine, elle n’échappe pas à l’influence américaine, les positions de Washington ayant fini par être déterminantes pour forcer son affaiblissement institutionnel.

Le problème est que les États-Unis voient d’un mauvais œil toute initiative d’intégration régionale. Les raisons, aussi variées qu’historiques, vont des postulats de la doctrine Monroe — que proclame la devise de « l’Amérique pour les Américains » — à la méfiance à l’égard de tout mécanisme qui ne comporte pas la présence hégémonique de Washington.

« L’union de notre Amérique explique l’historien Alejandro López, a eu pour principal ennemi l’interventionnisme et l’expansionnisme nord-américains ». À cet égard, il remarque que les États-Unis, en tant que nation dotée d’une Constitution « qui ne stipule pas les limites de son territoire », sont « en expansion constante », ce qui contredit tout mécanisme fondé sur des valeurs telles que le respect de la souveraineté et de l’intégrité des territoires ; « nous ne devons pas perdre de vue que les États-Unis sont une nation qui s’est formée sur la base de l’exploitation d’autres territoires, après une domination militaire et une contrainte économique ».

Dans cette logique, ce qui convient le moins aux États-Unis, c’est la solidité des mécanismes régionaux tels que l’Unasur, qui proclament l’unité non seulement sur les questions politiques, mais aussi en matière de défense, d’environnement, de santé et de finances.

En effet, l’une des questions qui resterait en suspens pour la « nouvelle » Unasur, si ses membres choisissaient de la revitaliser, serait de reprendre le débat sur une monnaie commune et de donner une impulsion définitive à la Banque du Sud, une institution fondée en 2007, qui devait devenir le pilier de l’intégration financière sud-américaine.

Selon le rapport du CEPR, les « irrégularités » entourant la sortie de plusieurs pays de l’Unasur rendent un retour au mécanisme plus envisageable. La proposition de Long et Suñé est d’« activer un mécanisme de règlement des différends », ce qui ouvrirait la porte à « une sortie collective qui pourrait remédier au processus irrégulier d’affaiblissement » de l’organisation.

« L’Unasur existe toujours et constitue la meilleure plateforme pour reconstituer un espace d’intégration en Amérique du Sud », peut-on lire dans la lettre qui a été publiée cette semaine pour plaider en faveur de la relance de ce mécanisme.

Au-delà des convergences politiques qui peuvent exister actuellement entre les gouvernements de la région, la possibilité d’apporter une réponse commune à des défis tels que la migration ordonnée, le changement climatique, la connectivité régionale et la coordination financière pourrait être très intéressante pour l’Amérique du Sud, en particulier dans une situation mondiale de plus en plus conflictuelle qui exige une plus grande cohésion.

Source : Actualidad RT