Triste jour pour la démocratie en Argentine

Fort soutien à Cristina Kirchner après la sentence dans l’affaire Vialidad. Des ministres, des parlementaires, des organisations de défense des droits humains, la CGT et le CTA dénoncent une persécution politique à l’encontre de la vice-présidente.

photo: AFP

Au Frente de Todos, c’est sans surprise que le verdict a été accueilli : depuis des semaines, on attendait la condamnation de Cristina Fernández de Kirchner, aussi quand le TOF 2 l’a condamnée à six ans de prison (et l’a bannie à vie de toute fonction publique), tout l’arc politique pro-gouvernemental est sorti massivement pour la défendre. Face aux accusations de persécution politique et à la mise en cause sévère du pouvoir judiciaire « qui la veut en prison ou morte » — comme l’a affirmé la vice-présidente elle-même et comme l’ont répété plusieurs responsables par la suite —, les dirigeants pro-gouvernementaux ont insisté sur son innocence et ont soutenu que le procès faisait partie d’une stratégie politique visant à la bannir, elle et le péronisme. « Aujourd’hui, en Argentine, une innocente a été condamnée », a déclaré le président Alberto Fernández, auquel se sont joints dans la journée plusieurs ministres, législateurs, responsables sociaux et des droits de l’homme, ainsi que la CGT.

Condamnation d’Alberto Fernández

« Je ne peux qu’être ému par la condamnation de CFK. C’est le résultat d’un procès dans lequel les formes minimales d’un procès équitable n’ont pas été respectées. Dans lequel a été violé le principe de ne pas juger deux fois un même fait. Dans lequel il n’est pas expliqué comment une personne qui n’a pas la capacité de prendre des décisions dans le cadre d’appels d’offres publics peut administrer frauduleusement. Francesco Carrara[1] a un jour enseigné que lorsque la politique s’immisce dans les tribunaux, la justice s’échappe par la fenêtre. C’est ce qui s’est passé dans ce cas », a déclaré Alberto Fernández sur ses réseaux sociaux. En plus d’exprimer sa solidarité avec l’ancienne présidente, le président a dénoncé l’existence d’une « persécution absolument injuste » par un « simulacre de procès » et a affirmé : « Tous les hommes et les femmes de bien qui aiment la démocratie et l’État de droit doivent se tenir à ses côtés ».

Répudiations du gouvernement

Tout au long de la journée de mardi, les déclarations du président ont été accueillies par de nombreuses expressions de soutien. L’ensemble du gouvernement national, par exemple, a apporté son soutien. « Une décision insoutenable qui coupe la chaîne de responsabilité à la recherche d’un impact politique et avec une énorme précarité juridique. En ces jours où l’on voit clairement mis à nu le projet d’une classe dirigeante docile et corrompue », a tweeté le ministre de l’Économie, Sergio Massa. « Un procureur et des juges qui jouaient au ballon dans la maison de campagne de Mauricio Macri ont fait de CFK la seule citoyenne argentine qui doit prouver son innocence pour la supprimer politiquement. Comme toujours, nous, les péronistes, allons nous battre pour la démocratie », a déclaré le ministre des travaux publics, Gabriel Katopodis.

« Tout un peuple te défend, la vérité est de ton côté et l’histoire te soutient. Ce qui s’est passé aujourd’hui est un scandale. Ils s’en prennent à CFK pour ce qu’elle a fait de bien, pour avoir donné une meilleure vie à des millions d’Argentins », a déclaré, pour sa part, le ministre de l’Intérieur de Cristina, « Wado » De Pedro. « Il y a plus de dix ans, CFK a été condamnée médiatiquement par le groupe Clarín. Aujourd’hui, la mafia judiciaire a transformé cette haine en une sentence illégitime qui porte la signature de l’anti-péronisme et un désir inavouable : nous proscrire une fois de plus et contrôler la démocratie », a ajouté le ministre de la Justice, Martín Soria. Dans le même temps, les milieux les plus éloignés de la vice-présidente se sont également prononcés en sa faveur. « Tout comme ils voulaient mettre Perón hors la loi, maintenant ils mettent Cristina hors la loi. Mais, comme bien d’autres fois dans l’histoire, ils sous-estiment notre peuple », a déclaré la ministre du développement social, Victoria Tolosa Paz. « Je souhaite transmettre mon affection et ma solidarité à CFK, qui a fait l’objet d’une accusation sans support juridique ni preuve matérielle », a ajouté le chef de cabinet, Juan Manzur.

La réponse des Kirchneristes

Bien que l’entourage le plus proche de la vice-présidente l’ait rencontrée dans son bureau au Sénat jusqu’à tard dans la nuit, plusieurs dirigeants pro-Christina sont sortis pour remettre sévèrement en question la décision. « Il est du devoir de tout Argentin et péroniste de bonne foi de se rallier à cette femme », a déclaré Andrés ‘Cuervo’ Larroque via les réseaux sociaux. Dans une interview accordée à ce journal, le secrétaire général du CTA, Hugo Yasky, a vertement critiqué la condamnation : « C’est une farce, c’est la même chose que ce qu’ils ont fait à Lula au Brésil et à Correa en Équateur. C’est la même chose qu’ils ont fait à Perón quand ils l’ont banni. Il s’agit de la même famille judiciaire sacrée dont les mains sont sales pour avoir cautionné une corruption monumentale. Cette décision est un crachat au visage de la démocratie ». Yasky a également déclaré qu’un « nouveau chapitre » s’ouvrait : « À présent commence le chapitre dans lequel le peuple va se mobiliser pour défendre Cristina en tant que personne et en tant que leader politique ».

L’ensemble du péronisme

« Ils ont essayé de nous exterminer au cours des 70 dernières années. Parfois de manière littérale, comme dans les années 70 ou en 55′, parfois de manière plus subtile comme aujourd’hui avec une guerre juridique », a analysé, dans un dialogue avec Página/12, la sénatrice de Buenos Aires Teresa García, qui a également souligné la décision de CFK d’annoncer qu’elle ne se présenterait pas en 2023 : « Mon souhait est toujours qu’elle soit la candidate parce qu’il n’y a personne qui interprète mieux qu’elle ce dont notre peuple a besoin. Mais je pense qu’elle a beaucoup relevé le niveau en disant qu’elle ne voulait pas que notre force politique ait à s’expliquer pendant la campagne. Elle s’est une fois de plus placée au-dessus de la mesquinerie et de la médiocrité ».

Plusieurs dirigeants importants — comme le président du bloc du parti au pouvoir à la Chambre des députés, Germán Martínez, qui a dénoncé le tribunal : « ils n’ont jamais voulu rendre la justice, ils ont toujours cherché à persécuter et à proscrire » — ainsi que divers groupes politiques et sociaux, se sont joints aux critiques. Bien que Máximo Kirchner n’ait pas fait de déclaration publique, il l’a fait dans un communiqué publié par la section du Parti Justicialiste de Buenos Aires : « La condamnation ne concerne pas seulement le CFK. Il s’agit d’une condamnation des politiques mises en œuvre entre 2003 et 2015. Il s’agit d’une condamnation de tout dirigeant qui ne s’agenouille pas devant les intérêts défendus par un groupe de privilégiés ».

Organisations de défense des droits de l’homme

Il y avait également des communiqués de scientifiques et de diverses organisations de défense des droits humains, comme celui signé par Madres de Plaza de Mayo Línea Fundadora, Abuelas de Plaza de Mayo, APDH, Familiares de Desaparecidos y Detenidos, entre autres, dans lequel ils exprimaient leur rejet d’une décision « arbitraire ». « Il s’agit d’un événement politique particulièrement grave, corollaire d’une longue liste de violences politiques subies par Cristina Fernández. Nous réitérons notre rejet et notre profond désir de continuer à exiger la cessation de ces actes profondément chargés de misogynie et de discrimination », ont conclu les organisations.

Le communiqué de la CGT

Dans un communiqué officiel, la direction de la Confédération générale du travail (CGT) s’est également prononcée en faveur de Cristina Fernández de Kirchner après la condamnation dans l’affaire Vialidad. « Ce verdict honteux est dans la droite ligne d’une série d’incohérences juridiques où aucune preuve factuelle n’est offerte pour prouver un quelconque crime, mais de simples opinions sur la cause des juges et des procureurs », ont déclaré les autorités de la confédération syndicale, notant que le jugement n’était rien de plus qu’« une tache de plus dans l’histoire de la justice argentine ».
« La Confédération générale du travail répète une fois de plus que les actes du gouvernement ne sont pas justiciables, et que seul le peuple, par le vote, décidera du sort de ses représentants politiques », concluent-ils dans le communiqué. 

Maria Cafferata

Source : Pagina|12


[1] Francesco Carrara (1805-1888), juriste et homme politique italien. Auteur notamment de Principes fondamentaux de l’École pénale italienne.